Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Armand Carrel est unanimement reconnu comme le digne successeur de Courier. Ils sont tous deux officiers, autodidactes, quittent tous deux l’armée pour la plume, conservent tous deux une sorte de discipline de l’indiscipline ; ils comptent tous deux parmi les saints patrons de la IIIe République.

Carrel, qui naît en 1800, est contemporain de la grande génération romantique ; sa mort dans le duel qui l’oppose à Émile de Girardin, patron de La Presse, journal adversaire du National, dirigé par Carrel, contribue à asseoir son mythe. Admiré de ses collaborateurs comme de ses adversaires, c’est un « soldat-poète », un Byron français. Littré, son premier biographe, dit que toute sa vie s’inscrit entre ces deux appellations, le sous-lieutenant et le journaliste. Chateaubriand, reprochant à la Restauration de n’avoir su donner un rôle à Carrel, le trouve militaire dans sa pratique de journaliste, puisque journaliste à défaut d’avoir pu devenir le grand militaire qu’il devait être.

Comme Vigny, Carrel est un soldat venu trop tard. Élevé dans les lycées de l’Empire, dans l’admiration de la Grande Armée, il entre à Saint-Cyr en 1811, mal-pensant et indiscipliné. À Verdun où il se trouve bientôt sous-lieutenant dans un régiment d’infanterie, il fréquente les cabinets de lecture et lit les « mauvais journaux », prend des premiers contacts avec la charbonnerie, les sociétés secrètes. Il commence une relation durable avec Émilie Antoine, la femme de son capitaine, avec qui il se bat en duel en 1823. Sa vie de jeune homme rappelle celle de Lucien Leuwen, inventé par Stendhal au moment de la grande gloire de Carrel. Les années 1821-1824 sont marquées par les conspirations militaires, dont l’affaire retentissante des quatre sergents de La Rochelle, guillotinés en place de Grève pour avoir fomenté un coup contre la monarchie. Carrel lui-même est mêlé à une conspiration, à Belfort, mais n’est pas repéré. Son bataillon est envoyé à Marseille pour mise au pas.

Carrel est réformé le 18 mars 1823, juste avant que son bataillon ne soit envoyé en Espagne en soutien à la monarchie carliste, conformément au souhait de Chateaubriand ministre. Embarqué sur un bateau de pêche, il rejoint le camp des constitutionnels espagnols, au sein de la Légion étrangère. Il combat, sous le drapeau tricolore et l’aigle napoléonien, contre ses compatriotes de l’armée de Restauration.

Chateaubriand, paradoxalement, admire Carrel. Dès avant de le connaître, il cite dans la préface de ses Études historiques l’article que Carrel a écrit en 1828 sur la guerre d’Espagne. Amenés à se rencontrer, les deux hommes deviennent amis. Chateaubriand se reconnaît en lui : Carrel est lui aussi à sa manière l’homme d’une cause perdue d’avance, l’homme de la fidélité à un passé.

En septembre 1823, à Figueras, c’est à Carrel qu’il revient de négocier la capitulation de la Légion étrangère avec le général de Damas, qui promet de demander sa grâce. Carrel est néanmoins jugé par un conseil de guerre qui se déclare incompétent, puisqu’il a quitté les rangs de l’armée française avant de se rendre en Espagne. Le jugement est révisé une première fois, et Carrel condamné à mort, puis acquitté par une nouvelle révision. Entre-temps, il profite de son incarcération pour lire et faire ses premières armes contre la Restauration.

Il devient secrétaire de l’historien Augustin Thierry, achève le manuscrit de son Histoire de la conquête d’Angleterre par les Normands. En 1827 surtout, Carrel publie l’Histoire de la contre-révolution en Angleterre sous Charles II et Jacques II, son premier livre et véritable pamphlet contre la Restauration, sous l’apparence d’un livre d’histoire. Carrel veut délégitimer Charles X, substituer ce qu’il appelle la royauté consentie, c’est-à-dire la lignée d’Orléans, à la royauté légitime. Il s’affirme comme le partisan d’une ligne libérale, contre la référence au droit divin. Toutefois, Carrel n’est pas révolutionnaire : en 1830, il reste en retrait des événements, quoiqu’il les salue après coup. Il est défenseur de la Charte plutôt que de la souveraineté du peuple.

Thiers, Mignet et Carrel fondent le National en 1830, mais après les événements de Juillet, Carrel en devient le seul directeur.

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