Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Les pamphlets de Courier, vendus « chez tous les marchands de nouveautés » – les nouveautés sont les brochures éphémères, mais non périodiques – rencontrent un franc succès, ce que Balzac évoque notamment dans Illusions perdues. Le romancier souligne aussi que le pamphlet est toujours un texte d’opposition au pouvoir. Énumérant les noms des grands pamphlétaires du siècle – Constant, Chateaubriand, Courier, Vatout, plus récemment Lamennais et Cormenin, ou Béranger – l’auteur de La Comédie humaine accorde à Courier de rejoindre le canon : sa cible a peut-être disparu avec la Restauration, mais son monument littéraire demeure.

Cormenin est une figure intéressante : il est député d’opposition pendant toute la monarchie de Juillet, vote systématiquement contre le gouvernement, mais ne prend jamais la parole à la Chambre. Il semble qu’il fasse de son silence le moyen d’une surveillance scrupuleuse du régime, mais aussi de la naissance de l’éloquence parlementaire. Il publie en 1842 un Livre des orateurs, où il expose à partir de l’exemple de ses collègues une théorie de la rhétorique parlementaire, journalistique et pamphlétaire. Il conçoit l’auteur de pamphlet comme le « soldat de la presse militante ». On blâme néanmoins Cormenin pour la lourdeur, l’incohérence de son style. Balzac qui définit le pamphlet comme « le sarcasme à l’état de boulet de canon » lui reproche d’avoir le style « filandreux » plutôt que « l’allure à la Figaro de Courier ».

La guerre de Courier est en grande partie politique, mais elle est aussi littéraire : il déteste tous les écrivains depuis le XVIIe siècle, raillant « les Jean-Jacques, Diderot, d’Alembert […] sous le rapport de la langue ». À son éditeur qui l’appelle helléniste, il répond qu’helléniste rime avec dentiste, droguiste, ébéniste : on veut le faire savant de métier ou par politique, faiseur de livres comme Chateaubriand, mais lui revendique le loisir studieux de Montaigne.

C’est toujours sur une erreur de langue, sur un détail d’expression, plutôt que sur la thèse adverse, que Courier fait porter son attaque, pour ainsi dire en philologue minutieux. Il raille Chateaubriand dans son grand discours à la Chambre, au retour du congrès de Vérone. À Lamartine, il reproche ses phrases « hors de ce commun langage que tout le monde parle et entend ». Le « commun langage » c’est la langue du frais XVIe siècle, contre les raffinements spécieux de la cour de Louis XIV. C’est la langue de Rabelais, de Montaigne ou d’Amyot – Courier a imité son style pour traduire les passages manquant de Daphnis et Chloé – et c’est encore la langue des paysans. Cette haine pour l’académisme néoclassique le rapproche encore de Stendhal, et explique que Delescluze ait pu ranger les textes de Courier, avec la préface de Cromwell et le Racine et Shakespeare de Stendhal, parmi les influences de la bataille romantique. Stendhal lui-même se reconnaît dans cet intérêt qu’a Courier pour le mot propre, contre la rage d’ennoblir du siècle précédent.

Quant à Courier et Chateaubriand, ils s’estiment, en dépit des critiques répétées du premier et de leur opposition politique. Chateaubriand consacre une longue digression à Courier dans la Vie de Rancé et rend même un hommage ému au pamphlétaire assassiné, évoquant à son propos le chant d’une grive rappelant celle de Montboissier. Courier avait donné l’hommage réciproque dans une lettre de 1824, peu de temps avant sa mort reconnaissant en Chateaubriand l’« écrivain véritable […] poète, comme nul en prose ne le fut jamais », malgré son goût pour Rousseau, Bernardin ou Shakespeare. Courier est dans toutes les anthologies scolaires de la IIIe République, mais il disparaît avec elle : la dernière édition d’ampleur est celle de la Pléiade de 1940, juste avant la guerre et le début d’un régime qu’il eût vilipendé.