Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Ce cours a développé ce qui constitue l’aporie de la littérature personnelle, en particulier autour de la figure de Maurice Blanchot qui, suivant la filière moderne qui relie Mallarmé à Valéry en passant par le Proust du Contre Sainte-Beuve, conteste les fondements de tout rapport entre une vie et une œuvre, et porte à son comble la mise en cause de la lecture biographique.

La littérature, selon Blanchot, se situe dans un autre plan que la vie ordinaire, celui du verbe : elle est la « vraie vie » selon Proust, celle de la « poésie pure » pour Mallarmé et Valéry. La littérature, conçue comme l’assomption poétique du langage, assure non pas l’identité du moi mais l’absence d’être, le non-moi, dans un mouvement de pétrification de la présence réelle dans l’impersonnel. Ainsi, l’œuvre nie la réalité de celui qui parle comme de celui dont elle parle : la vie et l’écriture, le moi et la littérature, sont antinomiques. Malgré tout ce qui sépare Blanchot de Brunetière, lequel défendait la littérature classique dans sa visée universelle contre la tradition individualiste romantique, tous deux font l’apologie d’une littérature impersonnelle qui va à l’encontre du credo romantique.

Blanchot découvre cette expérience de dépersonnalisation marquant le passage à la littérature chez Kafka : celui-ci note dans son Journal que c’est en renonçant à dire « je » au profit d’un « il » impersonnel que l’écrivain entre en littérature ; ce faisant, il adopte un langage qui ne s’adresse à personne, et qui, selon la formule de Mallarmé, « appartient à un autre temps et à un autre monde » pour venir se situer dans une extériorité par rapport à tout vécu. Cette condamnation implacable de l’écriture de vie constitue de la part de Blanchot une position bien plus intransigeante que celle de Benda ou de Brunetière. Il dénonce chez des écrivains comme Maurice Barrès ou Charles Du Bos ce qu’il appelle le « piège du journal » : « Heureuse compensation d’une double nullité, écrit-il : celui qui ne fait rien dans la vie écrit qu’il ne fait rien. Et voilà quand même quelque chose de fait. » Condamnant les uns pour ce penchant vers une sorte de nullité performative, il sauve les autres, les « vrais » écrivains comme Kafka ou Virginia Woolf, par l’argument du journal intime comme garde-fou contre la littérature et son exigence d’impersonnalité, l’écrivain éprouvant le besoin de garder un rapport avec soi à mesure que son écriture se fait plus littéraire, plus impersonnelle. Dans ce cas, le journal constitue moins une confession ou un récit de soi qu’un mémorial, d’autant plus éloigné de l’entreprised’un Amiel décrivant la « méditation du zéro sur lui-même » qu’il apparaît légitimé par l’existence, à ses côtés, d’une grande œuvre. Les premiers mots du livre de Blanchot Faux Pas caricaturent la phrase inaugurale de toute écriture de soi par la formule paradoxale « je suis seul » qui se nie elle-même dans la mesure où elle postule l’existence d’un « tu » qui en serait le destinataire. L’écriture intime, selon Blanchot, relève donc d’un comique de l’absurde qu’illustre parfaitement cette phrase de Pascal signalant à son tour l’aporie d’un langage voué à la performativité : « Pensée échappée. Je la voulais écrire. J’écris, au lieu, qu’elle m’est échappée ».

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