Les deux derniers cours ont été consacrés à une mise en perspective historique de l’écriture de vie, selon une approche philologique destinée à compléter la démarche allégorique suivie jusque-là et qui avait mis en évidence trois attitudes représentatives du débat contemporain sur le sujet : l’abus, l’aporie, et l’apologie du récit de vie. Il faut à présent aborder la question de l’écriture de vie en fonction des changements qu’elle a subis au cours de l’histoire.
Les différences essentielles entre les Vies anciennes et les biographies modernes ont été ébauchées. En premier lieu, la Vie est un genre élevé qui retrace la geste d’un personnage noble, tandis que la biographie est un genre sécularisé que l’on tente d’anoblir en lui donnant le nom de Vie, comme le faisait par exemple André Maurois en intitulant ses biographies La Vie de… En second lieu, le genre de la Vie institue la vie comme unité de mesure, comme cycle que résume l’énigme posée par le Sphinx à Œdipe.
On a conclu cette enquête historique – destinée à être approfondie l’an prochain – sur la notion de biographie, dont l’apparition coïncide avec un mouvement de laïcisation du monde. Le terme, technique, est défini par Littré comme une « sorte d’histoire qui a pour objet la vie d’une seule personne », qui s’oppose au panégyrique et désigne une science auxiliaire de l’histoire. C’est un mot d’antiquaire, de cuistre, d’érudit, auquel Sainte-Beuve préférait celui de « Portrait » ou de « Causerie ». C’est ce même Sainte-Beuve, remarquant que « les femmes ne devraient jamais avoir de biographie, vilain mot à l’usage des hommes et qui sent son étude et sa recherche », qui a donné le mot de la fin : la biographie aux hommes, aux femmes la Vie.