Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Deux thèmes encore ont été fréquemment rencontrés dans la littérature de la Grande Guerre. Le premier est celui du « silence du permissionnaire », expression empruntée à Jean Paulhan dans Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres (1941). C’est un passage obligé des livres de guerre, puisque la permission donne presque toujours lieu à un fiasco, du moins dans la littérature. Dans beaucoup de témoignages, le meilleur moment de la permission est celui qui précède l’arrivée. La permission est un moment ambivalent, comme en témoigne une lettre d’Alain en 1915 : « Huit jours de permission, c’est comme un homme qui serait pendu deux fois. » Il semble que, dans la littérature, la permission soit presque toujours malheureuse, excepté chez Cendrars qui raconte sa première permission passée au Chabanais en juillet 1915.

À la fois lumineuse et sombre, la « perme » est une obsession omniprésente dans les lettres. La découverte de l’arrière où la vie continue comme avant donne au permissionnaire le sentiment de l’irréalité et parfois l’idée de la mort, comme dans Le Songe de Montherlant. La permission confirme l’incompréhension que la guerre a dressée presque partout, notamment entre les hommes et les femmes, entre le front et l’arrière. En permission, le soldat découvre que sa femme, sa mère et sa sœur se sont émancipées depuis qu’elles l’ont remplacé dans les champs, dans l’usine ou au bureau, et les retrouvailles ne sont jamais faciles. Jules Romains parle d’« une franc-maçonnerie des hommes du front » et de l’« état d’esprit » très antique du guerrier qui l’isole du reste de la société.

Durant la permission, l’expérience du front s’avère encore plus inconcevable que dans les tranchées, parce que son abomination est inénarrable ou honteuse, et la franc-maçonnerie des combattants en sort renforcée. Paulhan qui, dans Le Guerrier appliqué, était déjà sensible à la difficulté de raconter, y revient dans un chapitre des Fleurs de Tarbes, intitulé « L’homme muet », où il interprète le « silence du permissionnaire » de la Grande Guerre à la fois comme un symptôme du mal du langage en général et comme une spécificité de la névrose de guerre ou de l’après-guerre. Il développe une intuition présente chez beaucoup d’écrivains, comme encore Céline dans Voyage au bout de la nuit : « On est retourné chacun dans la guerre. Et puis il s’est passé des choses et encore des choses, qu’il est pas facile de raconter à présent, à cause que ceux d’aujourd’hui ne les comprendraient déjà plus. » Le silence du permissionnaire est la seule réaction possible face au paradoxe de la guerre que représente l’impuissance du témoignage.