Un bon résumé du balancement entre le cafard et le rire des tranchées figure dans Verdun (1938) de Jules Romains, lequel n’a pas connu les tranchées. Il attribue le cafard aux « pères de famille » et le rire aux « êtres jeunes », qui, selon lui, « ne pensent pas à l’avenir » et qui « n’ont pas la pitié facile » : « Ils savent être féroces en rigolant. » Cette férocité de la rigolade est intéressante.
On a distingué la gaieté nerveuse avant l’attaque, l’allégresse pendant l’action, le rire du rescapé, enfin le rire rétrospectif ou l’ironie de l’histoire, et encore le rire jaune ou l’humour noir. Pour le rire dans l’action, Genevoix, dans Sous Verdun (1916), évoque la « contagion bienfaisante » de l’allégresse, la joie et le rire en pleine bataille de la Marne le 10 septembre 1914. Il décrit aussi le grand rire de rescapés. Barbusse explique le rire après la bataille comme « la fête de survivre », et Dorgelès insiste sur le rire terminal : « … et l’on riait quand même ». L’humour noir, dernier stade du rire de guerre, est présenté par Jules Romains comme un rite conjuratoire au moment de la peur. Louis Huot et Paul Voivenel, médecins déjà cités, notaient que l’on ne chantait plus ou très peu en 1918 dans les tranchées et au cantonnement, et que la gaieté des soldats était moins visible qu’au début. Ils appelaient le nouveau rire de 1918 « un rire d’ironistes à froid ».
Après le roman de la destinée, roman de la passivité, on a analysé le roman de guerre comme roman de la volonté ou de l’aventure, suivant la distinction de Thibaudet. Il existe aussi des livres relevant de ce sous-genre, même si la postérité a retenu plutôt l’autre, notamment le courant de la littérature pacifiste présentant les soldats comme des victimes. « Tous les intellectuels, écrivaient Huot et Voivenel, grâce à la guerre ont goûté la volupté de l’action. » La guerre a constitué ce qu’ils appellent une « aristocratie du risque ». Une autre liberté a été procurée par la guerre, une insolite et insolente liberté qui résulte du relâchement des contraintes sociales et morales habituelles, de la levée des interdits. Il s’agit d’un état que les sociologues depuis Durkheim nomment anomie, dans lequel on est livré à soi-même et désorienté, car les liens familiaux et sociaux se sont dénoués. C’est ainsi que l’on explique un certain nombre de débordements qui accompagnent l’action : pillages, viols, exécutions sommaires. Cette liberté anomique, qui se retrouve partout dans la littérature de la Grande Guerre, est résumée par Bardamu dans Voyage au bout de la nuit de la manière suivante : « … il n’y avait plus personne pour nous surveiller ! Plus que nous, comme des mariés qui font des cochonneries quand tout le monde est parti ».