L’apologie de l’action chez Drieu la Rochelle renferme une menace pour l’avenir, pour la paix. Sa phraséologie rappelle Joseph de Maistre (la purification par le sang), Nietzsche (la volonté de puissance) et Barrès (le culte du Moi). Cela emporte des conséquences inquiétantes pour la paix. Dès 1917, la menace est là : une bonne partie des poèmes d’Interrogation est consacrée à la préparation de la paix. On passe de la guerre à l’après-guerre comme poursuite d’une société armée, l’apologie de la grande industrie, bientôt du « socialisme fasciste » que Drieu défendra dans les années 1930. Cette prophétie précoce de Drieu est bien antérieure à ses prises de position des années 1930 et même aux textes de Jünger comme Le Travailleur (1932). Cette annonce d’une paix armée résulte aussi de la crainte que la démobilisation se produise comme la souhaiteraient les pacifistes. Drieu fait clairement partie de ces guerriers qui aspirent à une révolution continuant la guerre (guerre et révolution ne font qu’un pour lui).
Dans son second recueil, Fond de cantine, publié en 1920 à la NRF, Drieu exige la fidélité aux amis morts (Métempsychose) comme un devoir s’imposant aux anciens combattants de lutter contre la chute dans l’état de paix et dans la démocratie, la vie facile et la médiocrité morale, une décadence opposée à l’archétype de vertu représenté par la guerre. Tout Drieu est là en puissance dans ses poèmes de 1917 et de 1920. Plus tard, dans un compte rendu d’À l’ouest rien de nouveau de Remarque en 1929, il devait dénoncer ce moment d’exaltation guerrière, qu’il qualifiera de lyrisme intellectuel, d’exaltation de la volonté de puissance. Dans La Comédie de Charleroi, récit conçu comme une palinodie de ses poèmes de jeunesse, la dénonciation de la démocratie des tranchées n’en est pas moins présente, ainsi que la critique de la guerre moderne honteusement « couchée ». La mystique guerrière est la même, ainsi que la même haine de soi de l’intellectuel, le désir d’être un chef : « Qu’est-ce qui soudain jaillissait ? Un chef. […] Un chef, c’est un homme à son plein ; l’homme qui donne et qui prend dans la même éjaculation. J’étais un chef. » Cet éréthisme sexuel est commun à Jünger et à Montherlant et l’ivresse de ce moment extatique persistera chez Drieu, qui associe toujours la guerre à l’amour et à la révolution, alors que le pacifisme est considéré par lui comme un état de dépression.
Il y a toutefois un autre côté des textes de guerre de Drieu, car il est l’un des rares à avoir aussi bien parlé de la peur. Les mêmes pages qui exaltent l’action décrivent la « colique de la peur ». Drieu a été marqué à jamais par une scène qui revient dans tous ses textes et qui constitue un second moment initiatique : la peur liée aux bombardements et à un obus tombé tout près : « Un cri derrière, ah, ce premier cri humain de la guerre. » Ce cri primitif qui lui a été arraché à Verdun en 1916 traverse toute son œuvre, en particulier La Comédie de Charleroi. L’ambivalence et la tension ont ainsi toujours été maintenues chez Drieu la Rochelle (comme chez Montherlant – car il faut être juste sur son compte – ou même comme chez Cendrars, Genevoix, Alain ou Paulhan), entre la volonté de puissance et l’aveu de faiblesse, entre la guerre chevaleresque éternelle (Charleroi) et la guerre industrielle et démocratique (Verdun).