Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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La lettre est la forme élémentaire de la littérature de guerre. Jean Norton Cru regrettait qu’il y eût si peu de correspondances parmi les trois cents livres recensés dans ses Témoins (1929). Deux scènes sont omniprésentes : la distribution des lettres et sa dispersion sur le champ de bataille parmi les cadavres.

La distribution des courriers. Au front, le vaguemestre est un personnage considérable et redouté. Barbusse le compare aussi à un conteur d’histoires, sorte de rhapsode ou de récitant itinérant qui sert de truchement entre l’avant et la zone des étapes, apportant des nouvelles du cantonnement, de l’état-major. Le rituel de la distribution est un moment crucial de la journée. On conserve les lettres, on les relit, on les renvoie, pour lutter contre l’oubli, car les soldats sont, comme le dit Barbusse, des « machines à oublier ».

La dispersion des lettres sur le champ de bataille autour des cadavres. Les lettres des ennemis tués font partie du butin de guerre, avec les papiers d’identité et les photographies, quand on fouille les poches des morts. Barbusse, avec sa manie documentaire, envoie des lettres allemandes à sa femme en les traduisant. La même sorte de scène se trouve chez Genevoix ou encore chez Montherlant, qui méprise la lettre puisqu’elle dévirilise le guerrier en l’attachant à l’arrière et aux femmes. Les lettres qui voltigent après la bataille sont pour eux comme les âmes des morts qui s’échappent. La mention des lettres qui continuent d’arriver pour les tués est elle aussi un tableau obligé, chez Dorgelès et Barbusse notamment. Le leitmotiv des lettres en souffrance désigne la mort.

Un dernier aspect des lettres à souligner est l’échange auquel elles participent. Norton Cru les considérait comme les témoignages les plus fidèles de la guerre auprès du journal, le souci littéraire en étant absent, ou en tout cas moindre que dans les autres genres. Or nous savons que le destinataire est toujours en partie l’auteur de la lettre. Après un assaut désastreux, Dorgelès écrivait à la même date à sa mère et à sa maîtresse des récits très différents de l’événement, en cherchant à apaiser la première et à inquiéter la seconde, et en mentant sans doute aux deux, à l’une par discrétion ou par ellipse et à l’autre par exagération ou par hyperbole. On pourrait citer des lettres de Norton Cru lui-même à ses sœurs, à ses frères et à sa mère, où l’on trouve des versions très différentes de chaque événement.

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