Résumé
Après le trou de mémoire du XVIIIe siècle, il fallait en venir à l’attrait de Proust pour les classiques du Grand Siècle et à l’omniprésence du XVIIe siècle dans la Recherche. Jacques Rivière parlait dès 1920 de « Proust et la tradition classique » dans la NRF. Comment entendre la tentation classique de Proust ? Il ne s’agit ni du néo-classicisme scolaire, ni du traditionalisme maurrassien, ni du purisme gidien, ni du moralisme de Rivière.
La mémoire traditionaliste de l’Ancien Régime n’est pourtant pas absente de la Recherche. Charlus rappelle au narrateur dans Le Temps retrouvé : « Vous m’avez fait lire autrefois l’admirable Aimée de Coigny de Maurras » (IV, 376). « Mademoiselle Monk ou la génération des événements », recueilli dans L’Avenir de l’intelligence (1905), est un conte inspiré à Maurras par les Mémoires d’Aimée de Coigny relatant son rôle de cheville ouvrière de la Restauration auprès de Talleyrand à la fin de l’Empire. La Restauration résulta d’un heureux concours de circonstances : la connivence imprévisible entre Aimée de Coigny et Talleyrand. Pourtant, conclut Charlus : « Si l’Aimée actuelle existe, ses espérances se réaliseront-elles ? Je ne le désire pas. »
L’équation entre la Révolution, le romantisme et la République comme suite des Lumières – et de la Réforme – fonde la doctrine de Maurras, mais le romantisme n’est nullement honni par Proust, au contraire, qui défend par exemple Nerval contre son assimilation au XVIIIe siècle attardé pour faire de lui un romantique (CSB, 233). Il reste que le conflit des deux sensibilités – Ancien Régime et République – est très présent dans la Recherche. On peut sans doute parler de La Persistance de l’Ancien Régime sous la République, suivant le titre du livre d’Arno Mayer (1983), dans l’économie, la politique, les mœurs, la culture.
La société de cour pénètre un commentaire sur la manière qu’a la princesse de Parme de recevoir les hommages et de relever avec grâce ceux qui s’agenouillent avec humilité devant elle. Le narrateur analyse longuement la dialectique aristocratique ou courtoise, de la grâce et de l’humilité, de la déférence et de l’amabilité, en voie de disparition dans une « société nouvelle », démocratique et égalitaire (II, 746-747).