Résumé
Seconde composante du XVIIe siècle cher à Proust auprès de la mémoire aristocratique, la mémoire chrétienne remonte elle aussi un peu partout dans la Recherche. La cathédrale y revient souvent comme le lieu et le symbole du traditionalisme de Proust. Ainsi « les cathédrales exerçaient un prestige bien moins grand sur un dévot du XVIIe siècle que sur un athée du XXe », dit le narrateur, pour envisager que la politesse ne disparaisse pas avec la société de cour, et qu’une hiérarchie subsiste en démocratie (II, 747) ; ou « comme [les échoppes] qu’on voit accotées aux flancs des cathédrales que l’esthétique des ingénieurs n’a pas dégagées » (II, 316), pour signaler la communauté de l’aristocratie et du peuple des artisans autour de la cour de l’hôtel de Guermantes. Deux thèmes essentiels sont ainsi suggérés : la cathédrale est à la fois la vraie démocratie et une rédemption esthétique. Forme de l’attachement à la tradition traditionnelle, le culte de la mémoire chrétienne traverse la Recherche.
Après l’affaire Dreyfus, le second engagement de Proust l’opposa à la politique anticléricale et à la loi de séparation. Mais, dès « L’irréligion d’État », article publié en 1892 dans Le Banquet, les radicaux étaient présentés comme « persécut[ant] la religion sous toutes ses formes » et la France devait au christianisme « ses plus purs chefs-d’œuvre ». Dans cet article très virulent, le jeune homme s’élevait contre « une doctrine de destruction et de mort » (CSB, 348-349).
L’idée sera reprise dans « La mort des cathédrales », article de 1904 dans Le Figaro, en pleine discussion de la séparation, préfigurant La Grande Pitié des églises de France de Barrès. Proust dénonce la désaffectation des églises de France qui seront converties en « musée, salle de conférence, casino » (CSB, 144). Or la cathédrale est la mémoire vivante de la France : « On peut dire que grâce à la persistance dans l’Église catholique des mêmes rites et, d’autre part, de la croyance catholique dans le cœur des Français, les cathédrales ne sont pas seulement les plus beaux monuments de notre art, mais les seuls qui vivent encore leur vie intégrale » (CSB, 143). Pire symptôme de ce mal : l’État « subventionne les cours du Collège de France, qui ne s’adressent cependant qu’à un petit nombre de personnes et qui, à côté de cette complète résurrection intégrale qu’est une grand-messe dans une cathédrale, paraissent bien froids » (CSB, 147).
Les mots de Proust, « vie intégrale », « complète résurrection intégrale », rappellent la préface de 1869 de l’Histoire de France de Michelet (l’italique est de lui) : « Plus compliqué encore [que la volonté de Géricault de refaire les tableaux du Louvre et de s’approprier tout], plus effrayant était mon problème historique posé comme résurrection de la vie intégrale, non pas dans ses surfaces, mais dans ses organismes intérieurs et profonds. »