Le troisième cours a rappelé les hypothèses de départ et les précautions à prendre : les propriétés, sans lesquelles nous n’aurions aucun accès cognitif aux choses, se définissent essentiellement par les dispositions et les pouvoirs causaux qu’elles exercent. La réalité n’est pas de part en part essentiellement dispositionnelle, car, d’un côté, il existe des propriétés essentielles et des propriétés accidentelles – le défi étant : comment les distinguer ? Et de l’autre, il y a aussi des lois. Si l’on veut éviter le « pandispositionnalisme », on doit partir du principe que certaines propriétés ne sont pas « essentiellement » dispositionnelles. Enfin, du concept à la chose, il y a plus qu’un pas : il ne faut donc pas confondre « prédicats » et « propriétés », et il faut distinguer « pouvoir » et « propriétés » en vertu desquelles les choses ont les pouvoirs qu’elles ont. À partir de là, on a présenté les caractéristiques de l’essentialisme étroit ou aliquidditisme. Le point de départ est avicennien et scotiste. On adopte le principe de neutralité et d’irréductibilité de la nature commune. Certaines réalités ou formalités métaphysiques ne se réduisent ni à des supposits physiques, ni à des noms conventionnels, puisque leur unité réelle, si elle est bien découverte par l’intellect, n’est pas produite par lui. L’aliquidditisme n’est pas un quidditisme : il n’y a pas d’haecceitas primitive (« primitive thisness »). Il s’agit de procéder alors à une réélaboration du modèle scotiste : l’essence est non pas une « quiddité » statique, ou une substance, ou une pure espèce naturelle, ou encore un pur faisceau d’habitudes, mais plutôt un quelque chose « aliquid » foncièrement dispositionnel. La source réelle d’intelligibilité d’une chose (« operari sequitur esse ») n’est pas son comportement (conception trop statique de l’essence), mais un ensemble d’habitudes ou de dispositions générales affectant la manière dont elle tendrait à se comporter dans certains types de circonstances : l’essence, ce ne sont pas des propriétés intrinsèques, mais des propriétés relationnelles ou dispositionnelles conditionnelles et mutuelles, des groupes (clusters) de pouvoirs causaux.
On a procédé ensuite à l’évaluation de l’essentialisme étroit ou aliquidditisme en se demandant s’il répondait au défi majeur qui est posé à l’essentialisme : comment distinguer propriétés essentielles, authentiques, ou « rares » et propriétés accidentelles ou « abondantes » ou simples « changements cambridgiens » ? On a montré la supériorité de l’aliquidditisme sur le modalisme, le quidditisme [12] et certaines formes de néo-aristotélisme, enfin sur le structuralisme causal ou relationnel, avant de présenter des conclusions provisoires et les hypothèses à creuser : le « consensus anti-essentialiste » se fait surtout sur une conception substantialiste de l’essence. Il faut y renoncer et tester notre nouvelle conception au contact des sciences. On doit pouvoir montrer : 1) Pourquoi les sciences n’entrent pas forcément en conflit avec l’essentialisme : retenir en particulier la distinction entre essentialisme appliqué aux individus et essentialisme appliqué aux espèces. 2) Comment, au contraire, l’aliquidditisme donne des critères de distinction satisfaisants entre l’accidentel et l’essentiel, et permet (contre les positions d’humilité humienne, kantienne ou lewisienne), une connaissance métaphysique authentique. 3) Comment il rend possible la réconciliation (souhaitable) entre « l’image scientifique » et « l’image manifeste » du monde (Sellars, Meyerson).
Références
[12] Schaffer J., « Quiddistic knowledge », Philosophical Studies, 123, 2005, 1-32.