Le deuxième cours est revenu sur l’évolution de la nature des liants, leurs principes de séchage et les conséquences sur l’aspect des œuvres. L’interaction entre une œuvre peinte et la lumière est fortement conditionnée par la nature de la technique employée pour sa réalisation. Il est possible de distinguer, au cours de l’histoire, les pratiques qui mettaient en jeu un liant organique à base d’huile, de colle animale, d’œuf, de cire ou de gomme, de celles qui consistent à fixer les couleurs sur un enduit minéral frais à base de chaux. Les peintures des métopes de la tombe de la jeune fille à la balançoire découverte dans la région de Cyrène (Lybie), conservées au musée du Louvre et datées de la fin de IIIe siècle ou du début du IIe siècle avant notre ère, démontrent une prise de conscience forte de cette variété de procédés. L’artiste de Cyrène a combiné dans ce cas deux techniques : d’une part, la fresque et une peinture à liant de chaux, employée pour le décor des éléments architecturaux ainsi que pour la réalisation de subtiles nuances de carnations, et, d’autre part, une pratique à l’encaustique, préférée pour peindre les bijoux, les cheveux ou les vêtements. On peut penser que le peintre a ainsi recherché des effets plus lumineux avec un abondant liant de cire d’abeille. De telles pratiques semblent avoir déjà existé à l’époque de l’Égypte pharaonique comme l’attestent des analyses du buste de Néfertiti conservé au musée égyptien de Berlin. La peinture à l’huile permettra par la suite de renforcer ces effets. Giorgio Vasari expliquait ainsi en 1568 que « ce procédé exalte les couleurs : il ne demande que soin et amour, car l’huile possède en elle-même la propriété de rendre la couleur plus moelleuse, plus douce, plus délicate, plus facile à accorder et à estomper [1]. »
La seconde partie du cours visait à mieux comprendre dans quelle mesure le choix d’une technique, d’un liant, modifie les propriétés rhéologiques de la peinture et le rendu final de l’œuvre. Une matière plus pâteuse permet par exemple à l’artiste de laisser la trace du geste effectué avec un pinceau. Selon les liants, la matière picturale peut être décrite comme correspondant à l’une des grandes catégories de fluides ou de matières pâteuses. Les solvants, les résines, les vernis et la plupart des revêtements industriels sont des liquides newtoniens, dits « idéaux », pour lesquels la viscosité est indépendante du taux de cisaillement. D’autres pâtes pigmentées telles que la plupart des peintures commerciales en tube sont rhéofluidifiantes : leur viscosité diminue avec l’augmentation du taux de cisaillement. En d’autres termes, la peinture est plus fluide quand le pinceau se déplace rapidement. De plus, ces substances ne s’écoulent pas au repos : une force minimale, appelée seuil d’écoulement, doit leur être appliquée pour les étaler. Enfin, d’autres matières sont des systèmes thixotropiques : leur viscosité diminue au cours du temps, même lorsque le taux de cisaillement reste constant. Lorsque le cisaillement est stoppé, la viscosité retrouve sa valeur initiale après un temps d’attente plus ou moins long.
Ces propriétés physiques de la matière picturale ont intéressé les peintres pour modifier la perception de certaines parties de leurs œuvres. Des médiums ont été ajoutés dans les huiles pour les transformer. Vincent Van Gogh expliquait ainsi à son frère à Théo, dans une lettre écrite à Saint-Rémy-de-Provence le 25 juin 1889, au sujet de deux études de cyprès : « J’en ai travaillé les avant-plans par des empâtements de blanc de céruse ce qui donne de la fermeté aux terrains. » Avec cette pratique appelée impasto, le peintre réalisait ses peintures en touches vigoureuses, sculptant presque la couche picturale, qu’il définissait lui-même comme une peinture à la barbotine. Léonard de Vinci, quant à lui, a employé des glacis qui au contraire ne présentent aucune trace de pinceau.
Références
[1] Vasari Giorgio, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, chapitre 7, 1568.
Ce cours a été suivi par un séminaire : « Picasso et Ripolin : une relation pleine de couleur » par Francesca Casadio (Art Institute de Chicago, États-Unis).