Séance animée par François Héran.
Chaque communication de 30 minutes est suivie de 10 minutes de discussion.
Résumé
Dans les années 1970, dans le sillage des luttes pour le droit à la contraception et l’avortement, toute une génération de chercheuses féministes a décrit l’exploitation domestique du travail des femmes, aboutissant à une reconceptualisation du travail au-delà de la dichotomie entre travail domestique et professionnel, mais aussi des méthodes pour pouvoir quantifier et évaluer le travail domestique. Pour diverses raisons, cet intérêt pionnier des études féministes pour les inégalités économiques produites dans la famille est passé au second plan, au profit des inégalités dans la sphère professionnelle.
Depuis les années 2010, il y a une attention renouvelée dans le débat politique et la science économique pour les inégalités économiques de revenus et de patrimoines. Toutefois, celle-ci se cantonne souvent à l'étude des inégalités de salaire, quand elle ne fait pas l’impasse sur la question du genre. Toutefois, l’attention nouvelle aux inégalités patrimoniales et le retour documenté de l’héritage ont contribué à désigner à nouveau l’institution familiale comme un acteur clé de l’économie, qui contribue à produire des inégalités socioéconomiques fortes et à renforcer les frontières entre les classes sociales. Il n’est plus possible aujourd’hui de penser la famille comme un « havre de paix » soustrait aux brutalités du capitalisme.
La redécouverte de la boîte à outils conceptuelle des études féministes a permis d'offrir une nouvelle grille d'analyse de la famille comme une instance primordiale de production, de circulation, de contrôle et d’évaluation des richesses au XXIe siècle. Dans différentes disciplines des sciences sociales, le genre a permis d’ouvrir la boîte noire des relations de pouvoir et de domination intrafamiliales – entre parents et enfants, conjoints et conjointes, frères et sœurs – tout en faisant le lien entre inégalités économiques et violences physiques et sexuelles. Ces nouvelles questions de recherche nécessitent un profond renouvellement des méthodes d’enquête : notamment, « soulever le cache-sexe du ménage », pour reprendre l’expression de Margaret Maruani, pour pouvoir mesurer l’inégalité patrimoniale femme-homme, interroger l’égalité formelle du droit de la famille pour mieux comprendre les inégalités en pratique reproduites par les professionnels du droit et de la finance.
Céline Bessière
Céline Bessière s’intéresse aux dimensions économiques et juridiques de la famille : transmissions patrimoniales, séparations conjugales, organisation des économies domestiques, division du travail entre conjoint(e)s, transmission et fonctionnement des entreprises familiales. Sa recherche actuelle porte sur le genre et l’accumulation du patrimoine en Europe. Elle est l’autrice de plusieurs livres, notamment, Le Genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités, coécrit avec Sibylle Gollac (La Découverte, 2020 ; Harvard University Press pour l’adaptation en anglais en 2023) ; De génération en génération, arrangements de famille dans les entreprises viticoles de Cognac (Raisons d’agir, 2010). Elle coordonne actuellement plusieurs numéros de revue : avec Maude Pugliese (INRS Montréal), un numéro spécial de Socio-Economic Review sur le thème « Gender and Wealth Accumulation: an Intersectional and International Perspective » (à paraître en 2024) ; avec Hanna Kuusela et Katie Higgins un numéro du British Journal of Sociology sur le thème « Families and Wealth » (à paraître en 2025).