Résumé
L’universalisme est devenu omniprésent dans les débats politiques contemporains. Depuis une vingtaine d’années, il renvoie inlassablement à l’idée d’un « universalisme des Lumières », qu’il faudrait défendre ou, à l’inverse, dont il faudrait se débarrasser. Pour y voir plus clair, on peut distinguer deux débats. Le premier, alimenté par les études postcoloniales, porte sur la responsabilité des Lumières dans le colonialisme européen : elles auraient alimenté « la mission civilisatrice » de l’Europe au nom d’un universalisme des valeurs occidentales. Le second correspond aux politiques de revendications minoritaires au sein des démocraties libérales. Particulièrement vif en France, il oppose partisans et adversaires d’un « universalisme républicain ». À chaque fois, les Lumières sont décrites, pour le meilleur comme pour le pire, comme l’origine d’un universalisme abstrait, rationaliste, eurocentriste, rejetant les identités particulières au nom d’un progrès uniforme et d’une citoyenneté sans reste. C’est justement cette image des Lumières que le cours de cette année souhaiterait discuter.
Un deuxième temps est consacré à présenter quelques réflexions théoriques sur l’universalisme. On réfléchit notamment à la distinction entre universalisme de surplomb et universalisme latéral (Maurice Merleau-Ponty, Souleymane Bachir Diagne), aux épisodes de révoltes et de guerres de libération qui peuvent relever d’un universalisme réitératif (Michael Walzer), enfin aux antinomies internes à l’universalisme moderne, entre un idéal émancipateur et une idéologie excluante (Eleni Varikas, Silyane Larcher, Étienne Balibar).
On termine par une première évocation des débats propres au XVIIIe siècle, notamment en analysant un passage du dialogue entre Orou et l’aumônier, dans le Supplément au Voyage de Bougainville, de Denis Diderot. Grâce à un détour fictionnel par Tahiti, le philosophe pointe la crise des figures classiques de l’universalisme et réfléchit, hors de tout dogmatisme, à la possibilité de fonder de nouvelles normes morales, émancipées à la fois de la morale religieuse et des conventions sociales. Dans un univers sécularisé, marqué par la diversité des peuples et des cultures, où trouver des points d’appui stables, qui permettent de viser une certaine universalité des comportements humains ?