Les textes qui parlent de livres (2)
On est frappé par la rareté des titres non chrétiens parmi les livres cités dans les documents : entre le IVe et le VIIIe siècle, 58 lettres et 22 listes (notes, inventaires et catalogues) citent 402 livres chrétiens alors que seuls deux documents (P.Turner 9 du IVe siècle et SB XII 11084 du Ve siècle) mentionnent 22 livres non chrétiens – et encore s’agit-il pour trois d’entre eux de manuels de rhétorique, qui, quoique se réclamant de la paideia hellénique, pouvaient être utilisés aussi pour des œuvres de nature chrétienne.
Si les livres de tradition non chrétienne voient globalement leur nombre s’effondrer après le IVe siècle, la quantité des exemplaires retrouvés représente tout de même plus de 30 % des papyrus littéraires : comment expliquer que ces livres soient si peu cités dans les documents ? Cette apparente incohérence statistique pourrait trouver une explication dans le fait que la littérature classique devient un matériau d’étude et de formation, et partant se trouve confinée au monde de l’école – ce qui explique qu’elle soit absente des lettres et des catalogues. Par ailleurs, nous ne disposons pas d’inventaire ou de catalogue de bibliothèques de particuliers : les listes de livres qui nous sont parvenues sont celles d’institutions chrétiennes – églises ou monastères – le plus souvent de langue copte, où l’on ne s’attend pas à trouver des ouvrages profanes.
Faisons cependant un cas particulier des hymnoi de Grégoire de Nazianze enregistrés dans un inventaire-catalogue d’une église (P.Leid.Inst. 13), textes qui, par leur forme, se rattachent à la tradition poétique classique, tout en étant de contenu chrétien – une ambiguïté qui est aussi tout un programme didactique dans l’esprit des pères cappadociens cherchant à édifier dans le christianisme en même temps qu’à inculquer les fondamentaux de la paideia hellénique.
Les livres hybrides (1)
La situation apparemment très monolithique que renvoient les documents correspond-elle à la réalité des bibliothèques ? Elle est sans doute beaucoup plus complexe, comme le montre le cas des livres hybrides, ces livres qui nous sont parvenus isolément mais qui combinent traditions classique et chrétienne. Avec le développement du codex, il n’est pas rare en effet que les particuliers compilent leurs propres livres à partir d’exemplaires qu’ils se faisaient prêter. L’étude de ces livres composites pose la question du lien qui unit les divers textes qu’ils contiennent et de ce qu’il nous apprend du profil de leurs copistes-lecteurs.