Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Le songe de Louis VII raconté par Rigord dans ses Gesta Philippi Augusti figure une inquiétante Cène royale. Il vaut comme métaphore et préfiguration, mais aussi comme avertissement face aux ambivalences et aux insuffisances de la religion royale. On se propose d’étudier son inversion monstrueuse à partir des gloses bibliques du pouvoir des rois, oscillant entre manducation ecclésiastique et dévoration laïque. On appellera donc pouvoir cannibale le retournement de la société eucharistique contre elle-même. Cette hypothèse permet de mieux comprendre certains traits de l’imaginaire politique de la royauté, s’exprimant notamment dans la figure du roi chasseur, mais aussi son dérèglement au XVIe siècle, dès lors que les conflits de religion expriment également l’histoire sensible de la « sainte horreur » provoquée par l’eucharistie. La question anthropophagique repose donc la question de la barbarie, et le cours s’achève par une analyse des fameux textes de Montaigne sur les cannibales, qui maintiennent le pari de l’universel tout en creusant par l’écriture le lieu de l’autre.

Sommaire

  • C’est l’histoire d’un roi qui rêve : le songe de Louis VII d’après les Gesta Philippi Augusti de Rigord
  • « Le roi Louis, avant la naissance, eut cette vision pendant son sommeil : il lui semblait que son fils Philippe tenait dans sa main un calice d’or plein de sang humain qu’il offrait à tous ses grands et tous y buvaient »
  • La Cène royale comme métaphore et comme préfiguration
  • Giraud de Barri, le mythe du Graal et ses implications politiques
  • Rappels sur la société eucharistique et l’englobement théologico-politique : ambivalences et insuffisances de la religion royale
  • Louis Marin, Le portrait du roi et la médaille comme « hostie sacramentaire du pouvoir d’État »
  • Une contre-épreuve de subversion cérémonielle : la fuite à Varennes (juin 1791) : « Qui eût osé l’arrêter, si, écartant ses vêtements, il eût montré cet habit ? » (Michelet)
  • Ceux qui paient le prix de la faiblesse de croire : violence contre les juifs et imaginaire meurtrier de l’hostie profanée
  • Du crime rituel juif : Paolo Uccello et la prédelle d’Urbino (1467-1468), les Pâques sanglantes de Simon de Trente (1475)
  • Un autre rêve royal : La faim de Guillaume II le Roux et le cerf ensanglanté d’après Gautier Map
  • Le Christ-Roi n’avale pas le corps du royaume, mais « injecte dans les membres du pays le sang vivifiant » (Jerzy Pysiak, « Philippe Auguste, roi des derniers temps » Annales, 2002)
  • Philippe Buc, L’ambiguïté du Livre. Prince, pouvoir et peuple dans les commentaires de la Bible au Moyen Âge, Paris, 1994 : les puissances politiques de la glose, ou pourquoi le temps ne périme pas le Livre
  • Leo quasi bos comedet paleas, « le lion, tel un bœuf, mangera la balle du blé » (Isaïe, 11, 7) : manducation ecclésiastique et dévoration royale
  • Le cannibalisme comme retournement monstrueux de la métaphore eucharistique
  • Pourquoi les rois doivent-ils chasser ? Frédéric II, saint Louis et François d’Assise
  • La passion cynégétique de Louis XI comme pathologie du pouvoir
  • Faire l’ours : quand les rois danois s’inventent une origine ursine (Michel Pastoureau)
  • Communion et prédation, l’épreuve de la controverse de l’été 1534 entre Robert Céneau et Martin Bucer (d’après Thierry Wanegffelen)
  • Dégoûts contre délices : une histoire sensible de la « sainte horreur » de l’eucharistie (Frank Lestringant)
  • « Ils disent que nous partageons la chair humaine » : la polémique antichrétienne et les premières accusations d’anthropophagie ou l’imaginaire paroxystique du festin de Thyeste
  • Pendant les guerres de Religion, manger le cœur immonde de l’ennemi, est « un sacrifice ou une offrande que l’on fait de soi-même, mimétique du Sacrifice de celui qui a pris sur lui tous les péchés du monde » (Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu)
  • Comment le mot de cannibale vint aux oreilles de Christophe Colomb ? L’histoire d’un déni (d’après Frank Lestringant)
  • La lecture rituelle de l’exo-cannibalisme comme tabou anthropologique
  • « Car un jour viendra où l’idée que, pour se nourrir, les hommes du passé élevaient et massacraient des êtres vivants et exposaient complaisamment leur chair en lambeaux dans des vitrines, inspirera sans doute la même répulsion qu’aux voyageurs du XVIe ou du XVIIe siècle, les repas cannibales des sauvages américains, océaniens ou africains » (Claude Lévi-Strauss, « La leçon de sagesse des vaches folles », 2001)
  • Nous sommes les barbares : Montaigne, le lieu de l’autre (Michel de Certeau) et le pari de l’universel (Gérard Lenclud)
  • « Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie »

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