L’externalisme semble solidaire de la théorie dite « Fido »-Fido, défendue par Bertrand Russell, selon laquelle le contenu d’une représentation n’est autre que l’entité représentée (la référence). La conception opposée, celle de Frege, distingue deux dimensions du contenu : le sens et la référence – le sens étant la façon dont la référence est représentée ou conçue. Selon Frege, le sens détermine la référence : la référence est l’entité qui correspond à la représentation que s’en fait le sujet, c’est-à-dire l’entité qui possède effectivement les propriétés recensées dans le « dossier mental » du sujet. Or cette thèse descriptiviste est précisément ce que l’externalisme rejette.
Il convient cependant de dissocier la distinction sens/référence de l’interprétation descriptiviste qu’en donne Frege. Dans les « cas frégéens », dont il a beaucoup été question dans le cours de l’année précédente, un même sujet possède sur un individu donné deux dossiers distincts, sans se rendre compte qu’il s’agit d’un seul et même individu. La distinction frégéenne entre le sens (le mode de présentation) et la référence permet de rendre compte du fait qu’un sujet rationnel soit disposé dans de tels cas à attribuer des propriétés contradictoires à un même objet. C’est un argument solide en faveur de la sémantique à deux niveaux que propose Frege, contre la sémantique monostratale de Russell. On peut cependant maintenir, avec Russell, que dans les cas les plus fondamentaux ce à quoi pense le sujet ou ce dont il parle n’est pas déterminé par le contenu de sa représentation mentale, c’est-à-dire par les propriétés répertoriées dans le dossier : la référence s’établit par contact direct avec l’objet (ce que Russell appelle acquaintance). Contrairement à ce que pense Russell, toutefois, cette idée de référence directe est compatible avec la distinction frégéenne du sens et de la référence, car même lorsqu’un objet est donné directement dans l’expérience il est donné d’une certaine façon et il est possible de ne pas se rendre compte qu’un objet donné d’une certaine façon est le même qui nous est donné aussi d’une autre façon.