Résumé
Convoquer les Nymphes permet d’introduire deux spécificités dans la réflexion sur la catégorisation du divin, le féminin et le pluriel, à l’instar de ce que Nicole Loraux avait étudié dans son célèbre article de 1991, Qu’est-ce qu’une déesse ? Elle soulignait alors la propension des Grecs à multiplier les figures féminines en collectivités au nom transparent : les Charites, les Moires, les Hōrai, etc. Les Nymphes entrent-elles dans cette réflexion ? À première vue, la réponse est positive : elles sont féminines, majoritairement plurielles, l’iconographie les représente souvent en triades et leur nom est transparent puisqu’il renvoie à la jeune fille en âge de se marier ou à la jeune épousée. Mais l’évidence du nom de « Nymphes » n’est pas tout à fait du même ordre que celle des « personnifications » divines qui projettent des notions dans la sphère suprahumaine. La numphē renvoie davantage à un statut – celui de la jeune fille à la veille du mariage ou de la jeune épousée. C’est la portée de ce statut, devenu divin, qu’il convient d’interroger. Pour ce faire, les occurrences de l’épopée homérique permettent de dresser le profil des Nymphes : déesses filles de Zeus ou d’autres dieux, elles sont immortelles et vivent sur terre, solidement ancrées dans le paysage ; elles rendent hospitalier un territoire inconnu et en favorisent l’accès à ceux qui arrivent et protègent ceux qui y résident. L’Hymne homérique à Aphrodite, qu’infuse la problématique des limites entre êtres mortels et immortels, fait des Nymphes montagnardes et arbustives des entités qui ne relèvent d’aucune de ces deux catégories, en les plaçant à l’entre-deux. Dans la même œuvre, le statut de Ganymède, immortellement jeune, et celui de Tithonos, éternellement vieillissant, sont d’autres déclinaisons des actualisations variables des éléments vitaux dans la sphère suprahumaine. Ce dossier atteste la complexité de ce qu’est un « dieu », une désignation dont les Nymphes attestent la fluidité.