La première heure a été consacrée au programme de la « destruction » selon l’Einführung : désobstruer le Da-sein « recouvert par sa propre histoire », l’ébranler ontologiquement en ramenant à leur sens originaire les catégories fondamentales de « conscience », « personne » et « sujet ». Libérer le Dasein, c’est libérer le passé. La « destruction » est toujours double : elle « ouvre accès au passé » en « ouvrant accès au Dasein » et elle « ouvre accès au Dasein » en « ouvrant accès au passé ». La double « destruction » de Descartes et de Husserl est l’objectif central de l’Einführung. La cible principale de Heidegger est le « souci » cartésien « de certitude » interprété comme « souci de rassurement » (Beruhigung), l’interprétation du verum en tant que certum « développée par Descartes » qui « maintient en l'état l'ontologie scolastique ». Après avoir évoqué la « destruction critique historique » de la logique menée dans les cours de 1925/26 (Logik. Die Frage nach der Wahrheit, Marbourg) à 1928 (Metaphysische Anfangsgründe der Logik, Fribourg), présenté la critique de la Problemgeschichte, esquissé une comparaison entre Wiederholung (répétition) heideggérienne et Re-enactment (ré-activation) collingwoodien, évoqué, enfin, le premier cours fribourgeois (hiver 1928/29) : l’Einleitung in die Philosophie, travaillé par Foucault au début des années 1950, via Jean Wahl, sous le titre de « cours inédit », on a entamé l’étude du « tournant fribourgeois », le passage de la déconstruction à « l’histoire de l’Être ». Le « retour à l’origine » cède la place aux concepts de « changement », « mutation », « métamorphose » : Wandel, Wandlung et Verwandlung. Un examen rétrospectif de ce « virage » est donné dans le Protocole du séminaire de Todtnauberg tenu en septembre 1962. Deux régimes de donation doivent être distingués pour penser l’histoire de l’Être/Estre : le premier, modelé sur l’autorévélation de l’Absolu hégélien dans l’histoire, « désigne l’histoire des donations dans lesquelles l’Être se montre époqualement » ; le second désigne « l’histoire des donations dans lesquelles l’Avènement (Ereignis) se tient en retrait ». La métamorphose de l’Être dans l’Ereignis renvoie à la notion de « l’Autre commencement », thème structurant de la pensée du second Heidegger, central dans les Beiträge zur Philosophie (1936-1938), le second « grand livre » de Heidegger volontairement non publié à l’époque. Pour le suivre dans l’enseignement, on s’est tourné vers le cours de 1937/38 : Grundfragen der Philosophie. Ausgewählte « Probleme » der « Logik » (1937/38), dans lequel Heidegger formule le distinction entre das Historische (l’historiographique) et das Geschichtliche (l’historique ou historial) et articule la différence entre le « Premier commencement », à la fois passé et présent, le « Commencement grec », qui se rapporte à la vérité de l’étant, et l’« Autre commencement », à venir, où est censé se décider « le destin spirituel de l'Occident», qui se rapporte à la « vérité de l’être », omise dans le « Premier commencement ». L’heure s’est conclue par des remarques sur la signification du « Nous » (Wir) chez Heidegger dans les années 1930, puis par un retour à la problématique générale du cours de 2017 destiné à souligner que s’il n’y a pas d’histoire de l’Être chez Foucault, il y a une histoire de la vérité chez Heidegger, ce que l’on a confirmé par une analyse statistique lexicographique des occurrences des expressions « Geschichte der Wahrheit », « Geschichte des Seins » et « Geschichte des Seyns » dans la Gesamtausgabe.
La seconde heure a porté sur Le cours fribourgeois du semestre d’été 1934 : Logik als die Frage nach dem Wesen der Sprache. On a commencé par situer le cours : le 21 avril 1933 Heidegger est nommé recteur de l’université de Fribourg. Il quitte ses fonctions le 27 avril 1934. Le cours fait immédiatement suite à cette démission. Dans ses autointerprétations ultérieures Heidegger le présente comme destiné à opérer un déplacement de la « logique » au « langage » / « langue » / « parole » (Sprache). Après avoir présenté les thèmes des cours et séminaires depuis le semestre d’été 1933 (marqué par le Discours de rectorat, 27 mai 1933), jusqu’au semestre d’hiver 1934/35, on a analysé le cours de 1934, primitivement annoncé sous le titre « L’État et la science ». On a suivi deux points principaux : la nature des questions posées et la structure en « chicane » du cours articulant questionnement et « reprise inversée ». On a montré que, partant de la question de la logique et du logos, le cours se déplaçait, via celle du « langage » (Sprache), vers la question du « Nous » (Wir) : « Qui sommes nous nous-mêmes ? », mettant en œuvre une destruction du « nous-mêmes » , entrainant celle de la notion de « peuple ». On a défini la thèse de Heidegger : la question « Qui est ce peuple que nous sommes nous-mêmes ? » est une « question de décision ». On a analysé la mise en scène du « Nous sommes là » décidé comme adhésion liturgique à l’instant, l’ontologie de l’événement à venir qui l’accompagne et la thèse sur l’histoire qu’elle implique : le futur, non le passé, fait l’histoire. On a enfin montré que le cours de 1934 reprenait la critique de Descartes engagée dans l’Einführung de 1923/24, sur la base d’une comparaison entre le « sujet » cartésien et le « subiectum » médiéval, et détaillé les caractéristiques du sujet « cartésien » selon Heidegger : la promotion subjective du « je », fundamentum inconcussum et l’installation du « tribunal de la certitude » qui érige le « je » en unique subiectum. On a restitué sur cette base les éléments de la critique heideggérienne : le subiectum renvoyant à l’ὑποκείμενον aristotélicien, l’être-là de l’homme est réduit par Descartes à la Vorhandenheit (être-là-devant), le « je » à une chose qui pense, la « res cogitans ». On a mis en relief les deux questions « historiales » fondamentales posées dans le cours : « que veut dire que l’homme soit ”sujet” ? » et « comment et par quel chemin en est-on venu à ce renversement des concepts fondamentaux de la philosophie ? ». On a décrit ce chemin comme « chiasme » du sujet et de l’objet puis présenté la subjectivation du « je » comme changement dans l’essence de la vérité. Dans la dernière partie de l’heure on a abordé le cours du semestre d’hiver 1938/39 sur la Deuxième Considération inactuelle de Nietzsche. Le Wandel historial y remplaçant la « déconstruction », on a dégagé en ces termes les trois thèses sur le tournant « moderne » de/dans l’histoire de la vérité :
- le Wandel historial voit la transformation de la relation représentative en relation sujet-objet ;
- il est marqué par le passage anagrammatique de la « vérité adéquation » à la « vérité certitude », de la rec-titude (rec-titudo) à la cer-titude (cer-titudo), en allemand : de la Richtigkeit à la Gewißheit ;
- il a lieu quand le Sich-richten à l’oeuvre dans la relation représentative s’oriente sur le soi.