Le Fonds Foucault de la Bibliothèque Nationale contient une enveloppe « Heidegger sur Nietzsche » rassemblant les notes de lecture de Heidegger par Foucault au début des années 1950. Il s’agit des notes évoquées dans la « dernière interview » faisant de la découverte de Heidegger en 1950-52 le premier vecteur de la lecture de Nietzsche (1953). Après un rappel de la trajectoire de l’étudiant Foucault, on a analysé les fiches de lecture, sur la base de l’inventaire dressé en 2016 par David Simonetta, ATER de la chaire d’Histoire de la philosophie médiévale, en y distinguant trois ensembles : « Œuvres », «Définitions » et « Citations ». On a, pour le dossier « Œuvres », dressé un tableau du dispositif (fort de 175 feuilles), comprenant le titre donné par Foucault à l’œuvre de Heidegger, sa datation, la date de la publication originale (allemande), la date de traduction française avec indication du traducteur, et le nombre de feuillets remplis par Foucault. À quatre exceptions près, tous les textes déflorés par Foucault dans le dossier « Œuvres » sont postérieurs à la seconde guerre mondiale ; tous, sans exception, appartiennent au « second Heidegger ». Seul le texte sur Hölderlin est tiré du choix d’œuvres publié en 1938 par Henri Corbin sous le titre général Qu’est-ce que la métaphysique ? contenant la traduction d’extraits de Sein und Zeit (1927). C’est aussi le seul qui, à l’exception de la traduction Joseph Rovan de la Briefe über Humanismus, soit éditorialement antérieur aux années 1950-1952. La Briefe elle-même, représentée par 22 feuillets, ressemble plus à une traduction-paraphrase faite directement par Foucault lui-même sur l’original allemand qu’à une simple prise de notes. Le volume de Corbin est massivement présent dans la liasse « Citations ». On a proposé ensuite trois observations. La première observation a porté sur la lecture foucaldienne de Vom Wesen der Wahrheit (1930) selon Paul Veyne, plus particulièrement sur un aspect supposé heideggérien du « dernier » texte de Foucault (« La vie : l'expérience et la science ») : l’affirmation que « la vie a abouti avec l’homme à un vivant qui ne se trouve jamais tout à fait à sa place, à un vivant qui est voué à errer et à se tromper sans fin ». On a sur cette base posé le problème du rapport entre histoire et vérité et évoqué deux parallèles heideggériens : « toute époque de l’histoire universelle est une époque d’errance » et « l’erreur est le domaine essentiel de l’histoire ». Le thème de l’errance et de l’erreur place la question de la vérité au cœur du rapport Foucault-Heidegger. Une piste de recherche : la médiation de Jean Hyppolite.
La deuxième heure a permis d’aborder la Deuxième observation : Gilles Deleuze et Was heisst denken ?. Au moment où Foucault prend ses notes, Heidegger retrouve son enseignement à l’université de Fribourg, avec un cours intitulé : Qu’appelle-t-on penser ?. C’est la question que Deleuze retient comme centrale dans le rapport Foucault-Heidegger. C’est aussi la question fondamentale de Penser au Moyen Âge. Après des remarques sur l’appel de la pensée et la « voix silencieuse de l’Être » selon Heidegger, on a évoqué quelques thèses de Hans Blumenberg dans La lumière comme métaphore de la vérité sur ce qui distingue le monde de la Bible, monde de l’écoute et de l’obéissance, du monde grec du voir et de la lumière. Was heisst denken ?, la conférence de mai 1952 dont la traduction parait le 1er mars 1953 dans le Mercure de France avec une « Note en manière d’Introduction » de Jean Hyppolite, faisant partie des lectures du jeune Foucault, on a souligné l’importance de la note d’Hyppolite et de son enseignement sur la « Logique » dans sa double dimension hégélienne et heideggérienne, pour le travail d’appropriation de Foucault au début des années 1950. Revenant à l’opposition de la lumière et la voix, on a évoqué un exemple de rencontre médiévale des deux univers : la théorie de l’Appel du Bien (advocatio boni) de Denys l’Aréopagite et sa reprise chez Jean Scot Érigène par la fusion entre l’idée de « Clameur du Bien » et celle de « Voix créatrice de Dieu », en lisant un passage du Periphyseon (II, 24, 580C-D).