Un des types documentaires les plus révélateurs de l’arabisation de l’administration est l’entagion, un ordre de paiement adressé par l’administration à une collectivité ou à un individu. Les entagia fonctionnent à plusieurs niveaux. Le gouverneur envoyait aux ducs et pagarques des entagia (niveau 1) adressés aux collectivités locales : ceux-ci sont rédigés en version arabe puis grecque (en tout cas avant 720-730 où l’arabe devient exclusif), ordre évidemment très symbolique. Les ducs et pagarques, après avoir réparti la quotité exigible entre contribuables, rédigeaient des entagia (niveau 2) ou bien déléguaient cette tâche aux autorités villageoises : ils sont écrits en grec dans le Fayoum ou en copte en Moyenne- et Haute-Égypte. Les codes linguistiques que suivent les entagia dessinent donc une stratification linguistique claire : le gouvernement central envoie des ordres en arabe assortis d’une version grecque pour être compréhensibles de tous. Il y a donc de la part des occupants une prise en compte pragmatique de la situation linguistique du pays sans qu’ils renoncent pour autant (dès les années 690) à la présence, avant tout symbolique, de leur langue dans les documents. Une fois ceux-ci relayés auprès de la base par l’échelon intermédiaire, seul le grec ou le copte sont utilisés.
Ces entagia correspondent à une réalité fiscale nouvelle imposée par les Arabes, suivent un formulaire et une mise en page pour une part novateurs eux aussi imposés par les Arabes (quoiqu’ils aient pu l’importer) et mettent en position supérieure l’arabe comme langue désormais de référence. C’est en tout cas ce que les caractéristiques formelles de ces ordres voudraient nous faire accroire.