Figure exceptionnelle de l’architecture du XXe siècle, Le Corbusier l’est moins du fait de ses positions politiques que par la contribution que ses théories et ses projets ont apportée à la pensée sur la ville et les édifices. Parallèlement, il n’a cessé de solliciter l’opinion publique et de s’adresser aux décideurs publics en les sommant d’adopter ses plans.
L’analyse des conjonctures de son rapport à la politique met en évidence des positions récurrentes. La première est tout simplement la dénégation, l’affirmation répétée que la politique ne l’intéresse pas. S’il professe une phobie manifeste pour la politique, son intérêt latent est soutenu. Il ne cesse en fait de se situer en fonction des rapports de force du moment, tandis qu’il est lui-même annexé par les forces politiques.
La campagne de relations publiques qu’il engage en 1920 en publiant L’Esprit nouveau, puis en présentant ses projets urbains sur la scène parisienne, fait de lui une figure publique que la presse ne peut ignorer. Chacune des configurations de ses affects politiques doit donc être lue selon deux perspectives – celle des auteurs qui le critiquent ou l’encensent, et celle selon laquelle il s’approprie le discours de ses interlocuteurs politiques ou les met en demeure de le suivre.
Il y a en effet une dimension discursive dans l’ensemble de ces échanges, au travers desquels Le Corbusier intériorise et reformule les thèmes et le lexique des politiques, leur tendant comme un miroir architectural de leur programme, sans pour autant infléchir le moins du monde la substance de ses projets : il sera plus bolchevique que les Russes, plus pétainiste que le Maréchal et plus démocrate-chrétien qu’Eugène Claudius Petit.
La longue série de ces échanges est retracée, de ses sympathies socialistes des débuts à son flirt poussé avec les technocrates des années 1930, son intérêt pour le Front populaire, ses tentations de la période de Vichy à ses professions de foi pacifistes de l’après-guerre.