Lorsque les régimes politiques entendent fonder leur légitimité sur l’évocation bâtie de moments historiques révolus, leur rapport au passé prend des formes particulières, notamment lorsqu’il s’applique à deux villes distantes dans l’espace et dans le temps. Il ne s’agit plus alors de l’identification à un état antérieur d’un lieu, mais plutôt d’un double transfert par lequel une forme urbaine en vient à en contenir une autre, selon un principe homologue de celui de l’intertextualité dans le champ littéraire, que l’on peut dénommer « interurbanité ». Comme dans les relations entre deux textes, celles qui sont établies entre deux formes urbaines peuvent procéder par citation, paraphrase, parodie, inclusion, condensation, et selon de multiples autres figures – comme c’est le cas d’ailleurs pour les relations entre édifices. Il en va ici de ce que Gérard Genette dénomme l’« architexte », qu’il définit comme « cette relation d’inclusion qui unit chaque texte aux différents types de discours auxquels il ressortit ». La fortune sémantique et concrète des éléments de la forme urbaine de Rome, du Forum au Capitole, en est un bon exemple.
Le dispositif de la translation d’une forme dans le temps – une des formes de l’intertextualité architecturale – porte selon les cas et parfois simultanément, si l’on utilise un modèle linguistique, sur la syntaxe et sur le lexique. Le recours à ce dernier est le plus évident, tant il est facile de réduire l’histoire de l’architecture à celle de « styles » dont le décor serait l’expression, et qu’il serait possible d’« appliquer » à des formes spatiales différentes. Mais la syntaxe, autrement dit le mode d’organisation des espaces et des éléments d’architecture, peut aussi faire l’objet d’une appropriation.
Tout se passe donc comme si la pulsion des architectes au réexamen – allant jusqu’à la réplique – était largement partagée par les régimes à la recherche de fragments d’histoire disponibles, fragments dans lesquels les formes architecturales sont invariablement couplées avec des récits rassurants ou mobilisateurs. Le plus souvent mythiques, ces récits partagent, en dépit de leurs différences, un même centrage sur un âge d’or, dont le retour serait rendu possible par le truchement magique de l’architecture.