Dans un aphorisme bien connu, Henri Lefebvre a affirmé que « la ville était la projection au sol des rapports sociaux ». Que se passe-t-il si l’on falsifie cette affirmation pour dire qu’elle est la « projection au sol des rapports politiques » ? Comment saisir les liens reliant les configurations du politique à ses différentes échelles, et le dessin de la ville et de ces édifices, souvent indissociables, tant il est vrai que les bâtiments publics ont, par leur implantation et les espaces qui les entourent, une empreinte dépassant celle de la trace au sol de leurs murs ?
Cette question est particulièrement complexe, dès lors qu’elle porte sur les processus démocratiques et leur interaction avec les programmes d’aménagement et de construction.
Dans le cycle de la reconstruction de l’Europe occidentale après 1945, la démocratie a ainsi contribué à faire échouer certains projets, comme celui de Marcel Lods à Mayence. Elle a par la suite été présentée comme force positive. Un des propos les plus marquants dans cette perspective reste celui tenu en 1960 lors de l’inauguration de la Philharmonie de Hans Scharoun par le député social-démocrate Adolf Arndt, qui déclara alors : « la démocratie [en] est le maître d’ouvrage ». Ce slogan a présidé à nombre de discussions engageant les élus de l’Allemagne fédérale, puis de l’Allemagne réunifiée, avec des effets architecturaux marqués et marquants – positifs autant que négatifs pour ce qui est de la définition et de la réalisation des projets.
Deux matrices doivent être distinguées ici : celle de la représentation élue et celle de l’expression directe des destinataires, dont les partisans sont évidemment animés par les meilleures intentions démocratiques. Dans les opérations engagées par les représentants du peuple, les architectes sont en quelque sorte leurs délégués, ils donnent une forme bâtie à leur programme, au travers de diverses médiations. Dans les opérations engagées dans un cadre participatif, les architectes sont au contraire les agents des habitants, dans un contact direct avec chacun d’entre eux, auxquels ils donnent à l’occasion une réelle capacité à configurer l’espace de leur vie quotidienne.