Qu’en fut-il de l’architecture pendant que la France vivait le « cauchemar sinistre et glacé », que fut, selon les termes de Roland Barthes le régime de Vichy ? Les politiques architecturales conduites par l’État français ne sauraient se mesurer à la seule quantité — infinitésimale — d’édifices réalisés pendant les quatre longues années de l’Occupation. En revanche, l’abondance de la production textuelle, l’ampleur des réorganisations administratives et la complexité des politiques sectorielles méritent une analyse croisée. De surcroît, la destinée des architectes n’a fait l’objet d’aucune étude comparable à celles réalisées sur les hauts fonctionnaires, les avocats ou les médecins, ou encore sur les artistes et les écrivains. En particulier, l’application des lois raciales à la profession, telle qu’encadrée par l’Ordre créé le 31 décembre 1940, et à l’enseignement, reste inexplorée.
Les politiques frappées au sceau de la nostalgie régionaliste, que détourne habilement le chantier 1425 du Musée des arts et traditions populaires, furent contemporaines de celles conduites pour moderniser la conception et la production des bâtiments. Les comités d’organisation pressaient à la normalisation et à la standardisation, tandis que la réflexion sur la préfabrication s’engageait dans le cadre de la reconstruction. Les langages architecturaux préconisés pour les villes détruites étaient fort divers, du traditionalisme modernisé pratiqué à Gien au moderne classicisant d’Auguste Perret à Amiens.
Purgée de ses professeurs juifs, l’École des Beaux-Arts poursuivit son activité à Paris et, sous la conduite d’Eugène Beaudouin à Marseille, pendant que le projet d’une section des hautes études architecturales était longuement discuté. En revanche, un nouveau dispositif fut mis en place dans le champ de la presse, avec la création de L’Architecture française et de Techniques et architecture, où œuvrèrent des équipes que leurs positions opposaient. Le rôle d’instances comme le Conseil des bâtiments civils, et celui des multiples commissions créées pour encadrer la politique de l’urbanisme doit aussi être évoqué.
Beaucoup des mesures arrêtées sous Vichy trouvèrent leur source dans les stratégies de réforme inabouties de l’entre-deux-guerres, et la plupart d’entre elles resteront en vigueur à la Libération, souvent mises en œuvre par ceux-là mêmes qui les avaient instaurées, car il n’y aura pas de « France année zéro », pour paraphraser Roberto Rossellini. Sans prétendre mettre à jour toutes les continuités et les décalages entre les programmes d’avant et d’après l’été 1944, la discussion permettra d’en évoquer les plus marquants.