Résumé
Lorsque Barthes affirme qu’il ne faut pas adhérer émotionnellement à la fiction pour garder son objectivité, il réactive un questionnement qui remonte aux tragédies grecques. Mais l’expérience intérieure du lecteur est ambivalente : la conscience du caractère fictionnel et fictif de l’œuvre n’empêche pas l’empathie. Encore plus complexe est le passage de la croyance au jugement moral : l’appréciation esthétique coïncide-t-elle forcément avec l’appréciation morale ? Et le jugement du lecteur s’appuie-t-il sur une morale interne à l’œuvre, narratologique et structurelle ?
Dans la Poétique, les intrigues étaient classées en fonction du sort positif ou négatif auquel était destiné le juste ou le méchant. Si l’on conçoit ces catégories moins comme des étiquettes que comme un système combinatoire, le système aristotélicien peut encore être fécond aujourd’hui, lorsque la transitivité de la narration a réactualisé le jugement moral. En croisant les nombreuses déclinaisons possibles entre le happy ending et la justice poétique, et en historicisant les différents systèmes de valeurs sociétaux, on peut problématiser la justice humaine et la justice divine à la lumière de la justice de la littérature.