Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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L’épisode de la chute de cheval renvoie à la proximité entre l’écriture de vie et l’essai de la mort. Montaigne est toujours très attentif à la mort des hommes : « Qui apprendroit les hommes à mourir, leur apprendroit à vivre » écrit-il au chapitre « Que philosopher c’est apprendre à mourir » (I, 20). Cependant, cette prédilection pour le sujet de la mort n’est pas simple prétexte à l’écriture ; la mort est le critère permettant de décider ce qu’a été une vie, selon l’idée énoncée au chapitre « Qu’il ne faut juger de notre heur qu’après la mort » (I, 19) : « Au jugement de la vie d’autruy, je regarde tousjours comment s’en est porté le bout ». Montaigne se tient entre l’hypothèse stoïcienne, qui fait de la mort le but de la vie, et l’hypothèse épicurienne faisant de la vie un but en soi.

« Le but de nostre carriere, c’est la mort » ; d’où la nécessité de se préparer à la mort, d’apprendre à l’attendre sans peur : « La préméditation de la mort est préméditation de la liberté ». Le chapitre « Que philosopher c’est apprendre à mourir » avance deux hypothèses pour expliquer l’affinité de la philosophie et de la préparation à la mort : soit la philosophie nous prépare à la mort parce qu’elle lui ressemble, en ce qu’elle nous extrait de notre corps ; soit elle nous aide à surmonter la peur de la mort, car elle est une ascèse, une manière de meditatio mortis. Montaigne s’éloigne pourtant de l’idée que la philosophie doit nous apprendre à vaincre la crainte de la mort à partir de 1580. Arrivé à un tournant qui le mène à renier l’héroïsme du stoïcisme, il montre l’interpénétration de la mort et de la vie, en faisant valoir que la mort est déjà présente à tous les instants de la vie, comme l’exemplifie l’apologue de la chute d’une dent au chapitre « De l’expérience » (III, 13) : « cette partie de mon estre et plusieurs autres sont déjà mortes ». La meilleure préparation à la mort ne serait donc pas la méditation, mais la nature qui a mis d’elle-même de la mort au sein de la vie : chaque minute de notre vie est celle d’une perte ; la vraie mort a déjà eu lieu, c’est celle de la jeunesse.

Le chapitre s’achève sur une longue prosopopée de la nature, empruntée à Sénèque, en forme de leçon donnée à l’homme et conçue comme une succession de pointes, d’antithèses et de chiasmes, qui renoue avec la verve sophistique du Tiers Livre en incitant le lecteur à prendre ses distances avec l’argumentation proposée : « Le continuel ouvrage de vostre vie, c’est bastir la mort. Vous estes en la mort pendant que vous estes en vie. Car vous estes après la mort quand vous n’estes plus en vie ». Par ce biais rhétorique proche de l’échappatoire, qui fait écho à la prosopopée de l’esprit à l’imagination sur les bienfaits de la maladie dans la préparation à la mort au chapitre « De l’expérience », Montaigne feint de céder la parole à une instance étrangère susceptible de convaincre l’homme d’accepter la mort comme il accepte la vie. Le raisonnement, quasi sophistique, s’appuie sur l’idée d’une mort continue, progressive, du moi, et donc moins redoutable :« J’ai des portraits de ma forme de vingt et cinq, et de trente-cinq ans ; je les compare à celui d’asteure, combien de fois ce n’est plus moi ! ». Cette thèse, servie par un feu d’artifice rhétorique, laisse pourtant entière la question essentielle : quelle instance sera affectée par la mort ultime ?

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