Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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L’analyse de l’un des rares moments de vie dans les Essais a servi de transition de l’analyse du récit de vie vers une enquête sur l’invention du moi chez Montaigne : écrire la vie mène à inventer le moi. Le chapitre « De l’exercitation » (II, 6) donne le récit d’une chute de cheval qui fut pour Montaigne une expérience traumatique, touchant à la fois à la mort et au retour à la vie : l’anecdote personnelle conduit à une réflexion sur l’étude de soi, menée dans une très longue addition de 1588 et qui prend au fil du récit une ampleur disproportionnée par rapport à la nécessité de l’argumentation, jusqu’à gagner son autonomie.

Le chapitre s’ouvre sur une leçon de morale générale et impersonnelle sur la question de la préparation à la mort ; s’il est une expérience à laquelle on ne peut se préparer en effet, c’est celle de la mort : « on ne peut essayer la mort qu’une fois ». Pourtant, il existe des états voisins de la mort, comme le sommeil, qui peuvent nous en rapprocher, et pour lesquels Montaigne montre un intérêt moderne en tant qu’états intermédiaires de la conscience échappant au contrôle de l’intention. Partant des exemples tirés des philosophes de l’Antiquité qui ont analysé le passage de l’âme entre la vie et la mort, il pose la question du moi à partir de son absence: le cas de la « défaillance de cœur », de la perte de connaissance, permet, mieux que l’état d’endormissement, d’approcher la mort.

Le long récit de la chute de cheval occupe les deux tiers du chapitre, qui s’ouvre sur la mention d’une lacune de la mémoire : Montaigne ne peut dater l’accident, alors même qu’il en fournit un récit très détaillé, servi par un style anecdotique et ramassé caractéristique du récit de vie dans les Essais. La précision de la description – le cheval « abattu et couché tout estourdi », l’épée, la ceinture, etc. – est celle du récit de témoignage, bien qu’il dit avoir perdu connaissance au moment de sa chute, au point d’être resté comme « mort » et frappé d’amnésie. Il s’agit donc d’un récit de seconde main, rapporté après coup par des témoins dont il avoue ensuite qu’ils lui ont caché les véritables circonstances de l’accident.

Montaigne retrace toutes les étapes de son retour à la vie en une longue « recordation ». Dans le premier réveil de la conscience, il sent la proximité de la mort, qui se caractérise par une présence superficielle de l’esprit combinée à une insensibilité physique ; cette expérience est venue confirmer l’idée, soutenue par Montaigne contre l’avis de La Boétie, que le passage de la vie à la mort s’accompagne de « cette douceur que sentent ceux qui se laissent glisser au sommeil ». La suite du récit développe le rôle de l’imagination, des actions inconscientes et involontaires, dans cette sorte d’état de subjectivité intermédiaire qui caractérise le retour progressif à la conscience après l’évanouissement, dans le « béguayement » du sommeil qui nous fait sentir le monde extérieur comme « aux bords de l’ame ». Les pensées qui émergent en lui dans cet état de semi-conscience, notamment l’idée de commander un cheval pour sa femme, viennent d’une âme « comme léchée seulement et arrosée par la molle impression des sens ». À cet état de douceur et de langueur provoqué par la séparation de l’âme et des souffrances du corps, s’oppose celui des heures suivantes qui font renaître et le corps et la douleur.

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