Au cours de cette dernière leçon, nous avons centré notre propos sur des édifices minéraux ou hybrides organo-minéraux ayant à l’échelle macroscopique des formes complexes résultant en partie d’un mode de construction qui a pour intermédiaires des assemblages mésoscopiques ou des mésocristaux. Cette « chimie des formes » est passionnante. Elle permet de synthétiser des matériaux ayant des ultra-structures extraordinaires en forme de bi-tétraèdres encastrés, de chou-fleur, de feuilles, de corail, de vers de terre, etc. Nous avons illustré notre leçon à l’aide de deux exemples, dont les mécanismes – bien que non totalement élucidés – ont été étudiés extensivement par différents auteurs via de nombreuses techniques de caractérisation.
Le premier exemple concerne l’étude de la croissance de cristaux de fluorohydroxyapatite (FHAP), un phosphate de calcium, composante minérale de l’os compact humain, en présence d’un biopolymère, la gélatine. Le suivi des différentes étapes de formation de ces composites fluoroapatite-gélatine met en évidence une cascade de processus. Dans une première étape, des mésocristaux hybrides constitués de nanocristaux de phosphate de calcium s’assemblent en présence du biopolymère pour former des barreaux hexagonaux précurseurs de structures plus complexes. Ce processus de co-organisation est suivi d’une morphogénèse fractale générée par un empoisonnement de certains sites et dont l’orientation est induite par le champ électrique intrinsèque du barreau hexagonal. Cette croissance dendritique entraîne la formation de structures en chou-fleur, qui, en mode terminal, conduisent à la formation de sphères simples, puis de sphères cœur-couronne. Dans cet exemple, la matière organique présente des fonctionnalités multiples. Elle permet, via des processus d’adsorptions sélectives, de modifier les énergies de surface, ce qui définit le nombre et la localisation des sites de nucléation du phosphate de calcium, détermine l’orientation de la croissance cristalline et le mode d’agrégation des nanoparticules de FHAP. C’est cependant le champ électrique de la phase minérale qui est à l’origine de la morphogénèse fractale. La question soulevée par cette étude et communément admise dans de nombreuses communautés scientifiques est la suivante : les processus de minéralisation nécessitent-ils d’être associés à la matière organique ou biologique pour générer des formes sinueuses, courbes, ou des formes encore plus complexes comme des feuilles, des vers de terre, des hélices ? En d’autres mots, l’observation de minéraux ayant des formes courbes et complexes doit-elle être systématiquement associée à un caractère biotique et donc à une hypothétique présence de vie ?