Un second mécanisme est mis en jeu en périphérie, à côté des cellules régulatrices dans le contrôle de la réactivité immune envers le soi : il s’agit de l’induction d’un état « d’anergie » des lymphocytes T et B, c’est-à-dire leur incapacité (au moins transitoire) à s’activer en lymphocytes effecteurs. Des résultats récents indiquent une fréquence importante de lymphocytes T et B autoréactifs en périphérie. Chez l’homme, on observe une fréquence similaire de lymphocytes T autoréactifs et spécifiques d’antigènes étrangers dans le sang, et ce malgré l’étape préalable d’élimination centrale des cellules les plus autoréactives (cf. supra). On peut montrer qu’ils ne se divisent pas lors d’une stimulation par un autoantigène, qu’ils expriment de façon réduite le récepteur pour l’antigène, donc qu’ils sont anergiques. La question se pose du rôle respectif de la délétion des cellules autoréactives, de leur contrôle par les cellules régulatrices et de l’anergie. On peut montrer dans des modèles expérimentaux murins que le rôle respectif de ces mécanismes de contrôle varie en fonction du site d’expression des antigènes du soi (diffus, poumon, intestin, pancréas, etc.), l’anergie jouant un rôle important à l’égard des T reconnaissant des autoantigènes tissulaires. Il faut remarquer que l’état d’anergie est réversible et de fait offre « l’avantage » de permettre la réutilisation de ces cellules susceptibles de reconnaître des antigènes exogènes (agents infectieux) par réactivité croisée sans défaut trop important de répertoire, même si cela peut être au prix d’un risque d’auto-immunité.
Il existe aussi une plasticité entre T effecteurs T anergiques et régulateurs dans la mesure où il a été montré expérimentalement que :
i) sous l’influence de Treg, des T effecteurs peuvent devenir anergiques ;
ii) en l’absence de Treg, ces derniers peuvent redevenir effecteurs ;
iii) parmi les T anergiques, certains peuvent donner naissance à des Treg !
Des processus similaires (anergie) sont également mis en jeu pour les lymphocytes B. Il est intéressant d’observer un défaut d’induction d’anergie au cours du lupus érythémateux marqué par une génération continue (lors de poussées) de clones de lymphocytes B producteurs d’autoanticorps anti-DNA.
Lors des cours précédents, nous avons mis l’accent sur les facteurs génétiques de l’auto-immunité. Un certain nombre de données de nature épidémiologique et expérimentale démontre le rôle de l’environnement. Nous savons que, par réactivité croisée entre protéine d’un agent infectieux et protéine du soi, une infection peut déclencher une réponse auto-immune (c’est le cas du rhumatisme articulaire aigu post-streptococcique). À l’inverse, on a pu montrer que la réduction des stimulations infectieuses dans les pays développés s’accompagne d’une élévation de la fréquence de survenue des maladies auto-immunes, inflammatoires et allergiques. La qualité de la flore microbienne, notamment à travers la production d’acides gras à chaîne courte qui favorisent la différenciation de lymphocytes T naïfs en Treg, joue sans doute un rôle crucial. C’est la théorie de l’hygiène, reproductible chez la souris dans certaines conditions expérimentales. Enfin, la modification post-traductionnelle de protéines du soi sous l’effet d’agents toxiques (tabac, etc.) est susceptible de générer de néoantigènes tels qu’observés entre autres au cours de l’arthrite rhumatoïde (protéines citrullinées).