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Le microbiote vaginal, un allié contre le cancer

Éclairages

Toutes les deux semaines, un sujet d'actualité scientifique éclairé par une chercheuse ou un chercheur du Collège de France.

En 2023, la France recensait 1100 décès causés par des cancers du col de l’utérus, en dépit des campagnes de dépistage. Ces cancers étant tous causés par des papillomavirus (HPV), la lutte contre ces infections permet de les prévenir. Une compréhension plus fine du microbiote vaginal aiderait à une meilleure prévention.
Rencontre avec Samuel Alizon*, chercheur en biologie au Collège de France.

On sait assez bien prévenir les cancers du col de l’utérus. Comme pour les autres cancers, leur dépistage précoce contribue aux chances de guérison. Chez les femmes de plus de 30 ans, les nouvelles recommandations sont d’abord de réaliser un test de dépistage HPV pour détecter la présence éventuelle d’un papillomavirus.

Rechercher les HPV avant d’essayer de détecter la présence de cellules précancéreuses permet d’accélérer le diagnostic, de réaliser des économies pour le système de santé et de proposer aux patientes une méthode moins intrusive.

L’équipe de Samuel Alizon se concentre sur l’amélioration de la prévention des cancers, en cherchant à mieux comprendre les infections HPV. « Nous avons implémenté une étude clinique pour décrire la dynamique des infections génitales causées par HPV et leur interaction avec la réponse immunitaire. » Pour cela, elle a établi un suivi continu de femmes avec des prélèvements biologiques réguliers, ce qui l’a conduit à s’intéresser à cet environnement vaginal dans son ensemble, et, en particulier, au microbiote.

Un objet scientifique, sanitaire et politique

L’ensemble des micro-organismes vivants dans un écosystème donné forme le microbiote. Ils recouvrent toutes les interfaces de notre corps avec l’environnement, comme la peau ou l’intestin. Si l'on compare les microbiotes intestinaux de deux personnes, on constate qu’ils diffèrent complètement. « Un microbiote intestinal en bonne santé, ce sont des milliers de micro-organismes très divers, nous explique Samuel Alizon. À tel point que l’on a du mal à le catégoriser pour une seule personne. À l’inverse, les microbiotes vaginaux se décrivent très bien, car ils sont peu diversifiés. Un microbiote vaginal en bonne santé ne possède quasiment qu’une seule espèce de micro-organismes. » Ceci facilite grandement la démarche scientifique en permettant de formuler et de tester des hypothèses simples.

Pour autant, on manque d’études sur le sujet, notamment en Europe et encore plus en France. « On touche probablement aux biais masculins de la recherche et des sciences », nous souffle Samuel Alizon. Par exemple, le chercheur a été surpris de constater le manque d’études sur les liens entre les protections menstruelles, particulièrement les coupes en silicone, et l’environnement vaginal. Selon lui, une étude approfondie du microbiote vaginal pourrait nous en dire beaucoup sur les infections HPV. Le microbiote présent dans le vagin est essentiellement composé de lactobacilles. « Ces bactéries tirent leur nom de leur production d’acide lactique, que les sportifs connaissent bien. » Qui dit acide lactique, dit acidité et donc pH très faible. Beaucoup de bactéries ou de virus ne survivent pas dans un pH acide. « Pourtant, malgré ce rôle protecteur, on ne sait rien des prédispositions que pourraient avoir certaines femmes à avoir un microbiote vaginal plus ou moins riche en lactobacilles. »

Au-delà du cancer du col de l’utérus

Des études en Amérique du Nord et en Afrique ont déjà montré qu’une composition du microbiote vaginal pauvre en lactobacilles est associée à une plus grande susceptibilité à certaines infections sexuellement transmissibles, telles que les HPV ou le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Pourtant, ce sujet exige encore beaucoup de travail. En effet, d’une part, on connaît mal les raisons pour lesquelles certaines femmes ont des microbiotes pauvres en lactobacilles ; d’autre part, les options thérapeutiques sont limitées et n’ont pas vraiment changé au cours des quarante dernières années, avec deux ou trois types d’antibiotiques. Mais ces questions sont délicates, car des infections génitales pourraient, elles aussi, jouer sur la composition du microbiote vaginal.

Cette recherche viserait également à résoudre certains cas d’infertilité. « La composition du microbiote est associée à des différences importantes en termes de succès des procédures de fécondations in vitro. » Des liens avec l’endométriose sont aussi avancés, mais les preuves manquent. Plus largement, les sondages montrent une corrélation entre les perturbations du microbiote vaginal et le bien-être des femmes.

Des thématiques qui ne font malheureusement pas encore l’objet d’une littérature scientifique nombreuse. « Nous avons des outils de travail efficaces pour aller plus loin et décrire précisément le fonctionnement du microbiote vaginal », dit Samuel Alizon. En plus d’être un objet scientifique passionnant, il est associé à des enjeux de santé de premier plan. En dépit des difficultés de financement qu’il peut rencontrer, cela ne l’empêche pas d’être optimiste et d’être convaincu qu’il s’agit d’un champ de recherche d’avenir.

*Samuel Alizon est directeur de l’équipe Écologie et évolution de la santé dans l’unité CIRB au Collège de France, et directeur de recherche au CNRS.

Pour aller plus loin

Une étude est en cours sur les liens entre protections menstruelles et flore vaginale notamment avec l’association Règles élémentaires qui lutte contre la précarité menstruelle, et l’AMUR, l’Académie du microbiote urogénital.