Toutes les deux semaines, un sujet d'actualité scientifique éclairé par une chercheuse ou un chercheur du Collège de France.
L’anthropologie de la vie à la conquête de l’espace
Longtemps perçue comme l’étude des sociétés humaines dans leurs dimensions culturelles et sociales, l’anthropologie s’élargit dans une approche nouvelle, pour réfléchir aux effets de la vie sur les organisations collectives humaines. En analysant comment les sociétés conçoivent et interagissent avec les processus vitaux, l’anthropologie de la vie s’ouvre aux questionnements sur la vie extraterrestre et offre un regard inédit sur la façon dont les humains envisagent leur place dans l’univers.
Rencontre avec Perig Pitrou*, anthropologue au Laboratoire d’anthropologie sociale situé à l’Institut des Civilisations du Collège de France.
L’anthropologie de la vie constitue un domaine de recherche récent. Elle se propose d’étudier les processus biologiques exprimés dans les représentations sociales et culturelles. Selon Perig Pitrou, « Toutes les sociétés humaines partagent une expérience commune des phénomènes vitaux tels que la croissance, la reproduction, le vieillissement et la mort, mais elles développent des interprétations et des pratiques spécifiques ». Ce nouveau champ de recherche vise à comparer les différentes conceptions de la vie à travers le monde, qu’elles soient issues de savoirs traditionnels ou scientifiques. « L’anthropologie de la vie vise à comparer différentes conceptions de la vie que les sociétés humaines vont forger à partir d’une expérience première commune », complète le chercheur. Selon lui, dans leurs interactions avec le vivant, comme dans l’agriculture par exemple, les humains ont conscience de ne pas totalement contrôler la croissance des végétaux, qui dépend d’un pouvoir qu’ils cherchent à domestiquer. Ainsi, dans les rituels des populations amérindiennes, notamment les rites des Mixe de la Sierra Norte de Oaxaca au Mexique – où il a réalisé des enquêtes ethnographiques –, les sacrifices au sommet de la montagne se justifient par la nécessité de rendre visite à une entité nommée « Celui qui fait vivre », capable d’employer « la pluie », « le vent » ou « la terre », pour lui demander de l’aide dans la croissance du maïs.
Après avoir étudié ces rituels, Perig Pitrou les a ensuite mis en regard avec des recherches contemporaines sur la biotechnologie et la médecine, où la vie est redéfinie en laboratoire.
De l’ethnographie des laboratoires aux recherches sur l’exobiologie
Les avancées scientifiques ont conduit à l’extension du champ de l’anthropologie vers des territoires autrefois inexplorés, notamment les sites de production des savoirs scientifiques, comme les laboratoires, les universités ou les instituts. Depuis les années 1980, l’ethnographie de laboratoire s’intéresse à la construction des savoirs scientifiques, notamment par l’analyse des pratiques des chercheurs, de l’organisation de leur travail collectif et du processus d’élaboration de leurs théories. Perig Pitrou souligne l’importance de cette approche dans le contexte de la recherche biologique et spatiale : « L’exobiologie n’est pas seulement une biologie s’interrogeant sur la possibilité de trouver une vie sur d’autres planètes, elle se demande aussi comment la vie a émergé sur Terre. » Cette réflexion le mène à collaborer avec des scientifiques pour analyser les implications culturelles des découvertes en exobiologie, domaine qui vise à identifier d’éventuelles formes de vie extraterrestre. « La question n’est pas seulement de savoir s’il existe de la vie ailleurs, mais aussi de comprendre comment les humains se préparent à l’interpréter et à l’intégrer dans leurs systèmes de pensée », affirme-t-il.
L’anthropologue met également en lumière la manière dont l’exploration spatiale transforme nos conceptions du vivant sur notre propre planète. Par exemple, l’étude des exoplanètes et des environnements extrêmes terrestres, telle que les hyperthermophiles, ces organismes vivants à proximité d'une source de température élevée dans les fonds marins, nourrit les hypothèses sur la vie dans l’univers. Il rappelle que la découverte de nouveaux objets scientifiques, comme les cellules cultivées in vitro ou les organismes adaptés à des environnements extrêmes, entraîne une redéfinition des frontières entre le vivant et le non-vivant. Ses travaux s’inscrivent dans des projets internationaux tels que le programme Origins, porté par le Pr Alessandro Morbidelli, qui vise à explorer les conditions d’habitabilité sur d’autres planètes.
L’anthropologie appliquée à l’exploration spatiale
Un autre aspect des recherches de Perig Pitrou concerne l’anthropologie de l’espace et les conditions de vie humaine au-delà de la Terre. Dans le cadre d’un partenariat international entre l’Université PSL, l’University College London, la Maison française d’Oxford et le Collège de France, il s’implique dans le projet Off Earth Atlas qui emploie les méthodes des sciences sociales pour appréhender les infrastructures construites pour permettre à la vie terrestre de se maintenir en milieu extraterrestre. Ainsi, l’anthropologie de la vie ne se limite pas à analyser les sociétés terrestres, mais s’intéresse également aux futurs possibles de l’humanité dans l’espace.
Dans cette perspective, Perig Pitrou collabore avec des équipes de chercheurs travaillant sur la Station spatiale internationale afin d’étudier la gestion des relations humaines en conditions extrêmes. L’anthropologie des techniques et du quotidien en apesanteur apporte un éclairage nouveau sur les défis liés à la présence durable dans l’espace extra-atmosphérique.
En dépassant les cadres classiques de l’anthropologie, Perig Pitrou met en évidence la manière dont les sociétés humaines construisent du sens autour des phénomènes biologiques, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives sur notre rapport au vivant et sur notre place dans l’univers.
*Perig Pitrou est chercheur en anthropologie au Laboratoire d’anthropologie sociale du CNRS, de l’EHESS et du Collège de France et à la Maison française d’Oxford.