Actualité

La crise de légitimité du pouvoir palestinien

Éclairages

Toutes les deux semaines, un sujet d'actualité scientifique éclairé par une chercheuse ou un chercheur du Collège de France.

À sa création, l’Organisation de libération de la Palestine devait rassembler les différentes forces politiques palestiniennes dans un objectif commun de libération nationale. Comment cette organisation aura-t-elle finalement été le terrain privilégié des affrontements entre différents acteurs politiques en quête de légitimité, jusqu’à aboutir à une fragmentation inédite d’un paysage institutionnel considérablement bouleversé par la guerre ?
Rencontre avec François Ceccaldi*, chercheur en science politique au Collège de France. 

À partir de 1949, l’ensemble du territoire de la Palestine mandataire est fragmenté. Une partie se trouve désormais sous contrôle du tout jeune État d’Israël, Gaza passe sous administration égyptienne tandis que la Cisjordanie est intégrée à la Jordanie. Fondée en 1964, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) devait unifier sous une même bannière politique les factions palestiniennes engagées dans la lutte de libération du territoire. « Néanmoins, l’OLP devient rapidement une structure dominée par le Fatah, un mouvement politique dirigé par Yasser Arafat, marginalisant progressivement les autres factions », analyse François Ceccaldi. L’OLP fonctionne sur un modèle pluraliste où les factions, en son sein, définissent des objectifs communs tout en conservant la liberté des moyens d’action pour y parvenir. Cependant, le chercheur souligne que cette structure souple a facilité l’hégémonie du Fatah. « Yasser Arafat a consolidé son pouvoir dès 1969, verrouillant ainsi les structures de pouvoir de l’OLP, explique-t-il, ce qui a conduit à la montée d’oppositions internes, notamment des forces politiques palestiniennes de gauche. » Après plusieurs décennies de combats, Yasser Arafat signe des accords avec Israël, qui seront contestés par ses opposants.

Le tournant des accords d’Oslo

Les accords d’Oslo, signés en 1993, ont constitué un tournant majeur dans l’histoire politique palestinienne. Néanmoins, leur application a suscité de nombreuses critiques, notamment de la part de l’opposition de gauche et des islamistes. « Yasser Arafat a négocié quasiment seul les accords, sans consulter les organes de l’OLP ou les factions, ce qui a suscité un sentiment de trahison parmi certains acteurs politiques », affirme François Ceccaldi. L’un des points essentiels des accords d’Oslo était la création de l’Autorité palestinienne, censée gérer progressivement les territoires alors sous contrôle israélien. Toutefois, cette mise en œuvre a été fortement entravée par le développement des colonies israéliennes qui n’a en fait jamais cessé, quel que soit le gouvernement en place. « Dès 1994, Israël commence ainsi à construire de nouvelles colonies, ce qui va à l’encontre de l’esprit des accords et remet en question leur viabilité », note le chercheur.  
Un autre élément fondamental de ces accords résidait dans leur caractère inachevé. « Les accords d’Oslo n’ont jamais été une solution définitive, mais un cadre transitoire qui devait mener à des négociations ultérieures sur des questions centrales, comme Jérusalem, les réfugiés ou les frontières », souligne-t-il. Or, ces négociations, « si tant est qu’elles n’aient jamais été menées pour parvenir à un accord définitif », n’ont jamais abouti, laissant place à une situation politique précaire. Ces contradictions ont nourri une opposition féroce à la direction palestinienne et à sa politique, particulièrement de la part des mouvements islamistes, mais aussi des factions palestiniennes de gauche, qui ont tenté d’élaborer une troisième voie politique, en cherchant notamment à revitaliser les mécanismes démocratiques de l’OLP sans véritable succès.

Une crise de représentation 

Depuis les années 2000, la vie politique palestinienne est marquée par une crise de représentation croissante. François Ceccaldi insiste sur les effets de « la politique coloniale israélienne, dénoncée par de multiples résolutions de l’ONU, qui fracture le champ politique palestinien et permet la mise en place par Israël d’une politique de disqualification systématique des acteurs politiques palestiniens ». Dans ce contexte, les élites politiques échouent à répondre aux attentes du peuple. « Il n’y a pas eu d’élections depuis 2005, et Mahmoud Abbas, le successeur de Yasser Arafat, se maintient à la tête de l’Autorité palestinienne malgré l’expiration de son mandat. Cela contribue à l’isolement de l’Autorité palestinienne, qui n’est plus perçue comme légitime par une grande partie de la population. » Parallèlement, le Hamas, un mouvement politique islamiste créé à la fin des années 1980 et qui s’est imposé comme un acteur majeur en 2006 en remportant les élections législatives, incarne de manière croissante l’opposition au Fatah. En dépit de cela, « les sondages montrent une perte de confiance généralisée dans l’ensemble des forces politiques palestiniennes. L’Autorité palestinienne est perçue comme corrompue et inefficace. Aussi, sa gouvernance autoritaire et son isolement diplomatique limitent ses marges de manœuvre. Le Hamas quant à lui, bien qu’il incarne la résistance aux yeux d’une partie des Palestiniens, ne parvient pas à proposer une alternative crédible », poursuit le chercheur. La question de l’avenir du projet national palestinien reste donc en suspens. Le blocage du processus de négociation, la colonisation continue, la politique israélienne de déplacement forcé des Palestiniens et la division entre le Fatah et le Hamas, empêchent l’émergence d’une solution politique durable. « Les Israéliens n’ont jamais cessé d’étendre les colonies, ce qui interdit toute viabilité d’un État palestinien indépendant. La communauté internationale, quant à elle, qui a soutenu la réponse militaire israélienne à Gaza depuis le 7 octobre 2023, semble incapable d’imposer un cadre de négociation efficace », conclut-il. La crise de représentation actuelle et l’impasse politique persistante s’en trouvent ainsi accentuées. « Après la destruction complète de Gaza et l’extension de la guerre à la Cisjordanie, les plans proposés en février 2025, qu’il s’agisse du plan de Donald Trump ou de celui des États arabes, sans que les Palestiniens eux-mêmes soient pour ainsi dire consultés, s’inscrivent dans un schéma colonial de dépossession politique et territoriale ». Toutes ces évolutions rendent improbable la refonte des structures de gouvernance pourtant nécessaire à l’accomplissement d’une paix durable. 

*François Ceccaldi est chercheur auprès de la chaire Histoire contemporaine du monde arabe du Pr Henry Laurens et lauréat du prix de la Fondation Hugot du Collège de France 2024 qui récompense ses recherches sur le système politique palestinien.