L'entreprise délimite le périmètre des activités dont l'employeur mutualise les profits et les risques et dont il répond à ce titre. L’unité et la continuité de ce périmètre se sont d’abord données à voir dans la comptabilité, mais la normalisation des comptes, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, est venue changer la donne. La comptabilité favorise maintenant l’éclatement de l’entreprise, la désolidarisation des profits et des risques. La première forme de cet éclatement se joue dans l’espace. Le périmètre de l’entreprise s’estompe en tant que lieu de mutualisation, pour faire place à une collection d’unités placées en concurrence les unes avec les autres dans une perméabilité croissante entre l’intérieur et l’extérieur.
La seconde forme de cet éclatement, peut-être encore plus lourde de conséquences, se joue dans le temps. La comptabilité visait jusque-là à inscrire la disposition des biens dans un ordre généalogique, car à travers la façon dont chaque génération s’y emploie, c’est la société dans son ensemble qui joue son existence et les conditions de son possible recommencement. La comptabilité inscrivait ainsi l’activité de l’entreprise dans la durée, ou plus exactement dans une pluralité de durées s’emboîtant et s’articulant les unes aux autres. Cette fonction est mise à mal par l’adoption du principe d’indépendance des exercices comptables, lorsqu’on se met à considérer cette indépendance comme une réalité et non plus comme une fiction. Cette coupe en tranches de la vie de l’entreprise selon des unités de durée égales et autonomes conduit aujourd’hui à désolidariser le temps court et le temps long.