La recherche sur les télomères prend son origine sur la question de la protection de l'extrémité des chromosomes, une question très fondamentale étudiée à l'origine chez la levure, le maïs et plusieurs organismes protozoaires. En fait la conservation des mécanismes et des structures fait que ces travaux ont ouvert des espaces à nombre de question d'importance médicale. C'est souvent le cas. Je vous rappelle que l'interférence à ARN a été découverte à partir de travaux sur la couleur des pétales de pétunia (recherche d'un violet profond) et la rétrotransposition à partir des études sur la variégation des couleurs des grains de maïs au sein d'un même épi. Aucun de ces travaux, si riches en applications médicales, n'aurait été financé par un plan anti-cancer ou un programme destiné à lutter contre la maladie d'Alzheimer. En ces temps, hélas pas nouveaux, où les politiques, sans distinction de couleur, semblent incapables de comprendre la nécessité de préserver et de développer la recherche fondamentale, certaines évidences doivent être rappelées. Quand nous aurons été définitivement distancés par nos voisins, il sera trop tard pour pleurnicher sur notre perte de compétitivité. On se consolera en allant visiter les parcs de loisir.
Les télomères sont définis comme l'extrémité des chromosomes linéaires. Ils sont constitués de séquences répétées protégées par des protéines spécifiques. Chez sapiens la séquence télomérique TTAGGG est répétée sur plusieurs milliers de bases (10 kb dans le sang du cordon ombilical, soit plus de 1500 répétitions de la séquence de base). Les complexes protéiques constituent la shelterin (de shelter ou abri) et leur rôle est d'éviter que les télomères soient reconnus comme de l'ADN cassé et d'empêcher des fusions entre fragments d'ADN (préservation de l'intégrité du génome).
De nombreuses études ont confirmé le rôle des télomères dans le vieillissement cellulaire. En fait le machinerie de réplication ne peut aller jusqu'au bout du chromosome et encore moins au-delà et se reproduire, pour ainsi dire sous elle. Ce qui fait que la fin de l'ADN ne peut être copiée et qu'à chaque division le télomère diminue de taille. D'où l'idée que la taille des télomères constitue une horloge moléculaire et qu'au bout d'un certain nombre de divisions, les cellules entrent en sénescence. Il existe cependant un mécanisme de compensation qui repose sur la télomérase, une enzyme qui, comme son nom l'indique, rallonge les télomères.
En fait, Armanios et Blackburn (Nature Reviews Genetics, 13: 693-xxx, 2012) rappellent qu'au-delà des études de départ auxquelles il vient d'être fait allusion, c'est dans les années 1990 que les télomères ont été considérés dans le contexte des pathologies en particulier le cancer puisque l'activité de la télomérase est augmentée dans la plupart des cancers ce qui fait que cette enzyme est une cible pharmacologique importante en oncologie. Ca se comprend d'ailleurs assez facilement puisque les cellules tumorales peuvent se multiplier indéfiniment alors que, normalement, chaque division entrainant un raccourcissement, le nombre des divisions est limité et que les cellules devraient entrer en sénescence et apoptose assez rapidement (au bout de 24 divisions environ). On retrouve le même problème pour les cellules souches, dont les cellules souches neurales sur lesquelles je m'attarderai en fin de cours. S'épuisent-elles où sont elles protégées par une forte activité télomérase ? C'est important puisque, comme vous vous en souvenez, faire du sport augmente la prolifération des cellules souches neurales (DIA V.2) en jouant sur le compartiment d'amplification puisque les cellules souches ne se divisent que très lentement, c'est une de leurs propriétés. De là à dire que faire du sport est mauvais pour la santé, il y a un pas que je ne franchirai pas, surtout après avoir déjà suggéré que courir fait des trous dans les membranes musculaires et que penser casse l'ADN. Il ne resterait plus qu'à vous conseiller de fumer le cigare et ce serait le pompon (DIA V.3).
Au début des années 2000, la base génétique d'une maladie appelée dyskeratosis congenita 1 (DKC1) fut découverte avec l'identification d'un gène encodant une protéine appelée dyskerin dont il fut démontré rapidement qu'il s'agissait d'une sous-unité de la télomérase. Ce travail pionnier fut suivi de nombreuses autres études et, depuis quelques années, le nombre de maladies expliquées par un problème de télomères a énormément augmenté ce qui a amené à les regrouper toutes sous le terme de « telomere syndromes ». Ces syndromes sont prioritairement associés à l'âge et marquées par un vieillissement prématuré, puisque le raccourcissement des télomères et un « acquis » de l'âge.