Résumé
Le schéma des deux montagnes de Valéry suppose une hiérarchie entre les œuvres, selon le degré d’exigence dont elles sont porteuses. De là découle un problème essentiel : comment savoir quel type d’exigence esthétique est porté par une œuvre ? Quels sont les critères formels qui permettent de les différencier les unes des autres ? Ce sont là les objets de son Cours de poétique. Cette réflexion se trouvait posée à un moment de crise de la culture européenne.
Dans sa leçon du 19 juin 1942, bien avant la formulation par Bourdieu du concept de « capital culturel », Valéry parle du « capital intellectuel » de l’Europe, dont il avait senti, avec une acuité particulièrement précoce, la crise : outre la Seconde Guerre mondiale, il évoque l’émergence des pays asiatiques, et la globalisation entraînant une disparition des cultures locales. Il chercha donc à comprendre quels pourraient être les critères universels d’évaluation des œuvres.
Sa réflexion prend appui sur l’opposition entre émotion et immédiateté, d’une part, et éducation et entraînement, d’autre part. À ses yeux, la littérature exigeante permettrait de gagner en « finesse », et en délicatesse, par opposition à de nombreuses productions du monde moderne, qui offrent des émotions fortes, grossières et faciles, comme le cinéma. De sorte que les œuvres les plus fines sont celles qui supposent le plus d’effort. Les œuvres de Mallarmé représentaient pour Valéry le sommet de cette hiérarchie. Ainsi, pour évaluer une œuvre, il faut imaginer l’effort de celui qui la reçoit.
On peut donc distinguer trois critères d’évaluation des œuvres :
1) la complexité, sur laquelle insiste le philosophe Arthur Danto : les parties de l’œuvre sont interdépendantes ;
2) l’originalité, critère auquel s’attachèrent les formalistes russes : l’œuvre s’oppose aux stéréotypes formels et thématiques et pratique la défamiliarisation ;
3) la finesse, la délicatesse, l’économie des moyens : critère proprement valéryen.