Les constructions théologiques faites à partir des rites telles que nous les avons analysées il y a deux ans portaient uniquement sur Rome, sur la religion du Peuple romain et des familles romaines, et non sur les innombrables cités, colonies ou municipes, d’Italie et des provinces. Car la religion de Rome, au bord du Tibre, ne concernait que l’État romain, la respublica du Peuple romain, comme ils disaient, et bien entendu le citoyen romain, où qu’il se trouve, en tant que membre de cet État. Mais cette religion et cette théologie ne s’imposaient pas à la deuxième patrie de chaque citoyen romain, la colonie ou le municipe dans lequel il était né et où même la majorité d’entre eux vivaient. Quand une cité devenait romaine, quand une colonie romaine était fondée, on n’y déversait pas la totalité des obligations religieuses de l’État romain. On ne convertissait pas les habitants déjà en place, et quand il s’agissait d’une colonie fondée par les Romains, on n’y installait pas un pur décalque du système religieux de Rome.
Comment comprendre alors les théologies qui étaient celles des colonies et des municipes de l’Italie et des provinces ? Donnaient-elles à voir, et si oui comment, les mêmes pratiques théologiques que celles que nous observons à Rome même ? Pour la philosophie, certainement, puisque les élites avaient la même éducation. Pour la mythologie, c’est beaucoup plus difficile, car nous ignorons en fait et ne comprenons pas la mythologie locale antérieure à l’occupation romaine, à laquelle pourtant les habitants des cités provinciales font allusion.
Nous avons partiellement repris et complété nos recherches plus anciennes sur les documents qui nous informent sur la fondation des colonies (notamment le règlement d’Urso) pour supposer qu’outre des institutions religieuses et des prêtrises, les nouvelles cités construisaient un calendrier liturgique annuel, qui devait être confirmé chaque année. Et dans la confection de ce calendrier, il était certainement question de théologie, en ce sens que les décurions devaient proclamer divinités publiques de la colonie un ensemble de dieux et déesses. À l’exemple de la Colonie Auguste des Trévires, nous avons dressé l’inventaire des dieux attestés, dont les uns représentent le versant romain de la nouvelle cité, les autres le côté local. Nous avons mis en évidence le choix des divinités trévires inscrites au panthéon collectif. Il paraît ainsi que les Trévires ont adopté comme divinité majeure Mars, comme d’autres cités gauloises, contrairement aux Tongres et aux Bataves qui ont privilégié le dieu Hercule. L’épiclèse Lenus révèle aussi que ce sont sans doute les Trévires de la rive septentrionale de la Moselle qui ont imposé leur divinité « tribale » aux dépens d’autres Mars, Loucetios et Gnabetius, attestés chez les Trévires méridionaux.