Dans le dernier cours, nous avons examiné quelles aires cérébrales, chez l’homme comme chez le singe macaque, contribuent à l’apprentissage de séquences auditives qui forment des grammaires élémentaires mais qui présentent une analogie partielle avec l’organisation du langage parlé. Les travaux comparatifs de Chris Petkov, fondés notamment sur les réponses aux violations d’une séquence auditive apprise, l’amènent à conclure qu’il existe un mécanisme de représentation cérébrale des séquences partagé par les deux espèces et hautement conservé dans l’évolution. C’est possible, mais nos propres travaux, fondés sur le paradigme local-global développé par Bekinschtein et al. (PNAS, 2009), suggèrent une différence majeure : dans l’espèce humaine, la région de Broca (gyrus frontal inférieur gauche, aires 44 et 45 de Brodmann) présente des réponses uniques d’intégration de plusieurs aspects de la séquence. Nous proposons que cette région soit capable de représenter les séquences sous la forme d’une formule compacte qui comprime toute l’information en un seul arbre symbolique récursif.
En résumé, l’acquisition du langage chez l’homme repose sur des circuits très spécifiques, notamment le cortex préfrontal inférieur et le sillon temporal supérieur de l’hémisphère gauche. Des circuits analogues existent chez les autres primates, mais ils ont subi une expansion considérable de leur surface et de leur connectivité au cours de l’hominisation. De plus, dans notre espèce, ces circuits intègrent plus d’informations que chez le singe macaque (travaux de Liping Wang). Si les primates non humains sont capables d’apprendre des signes arbitraires (associations signifiant/signifié), ils le font sans réversibilité ni construction mentale d’un vaste système de symboles. Ils parviennent à apprendre des séquences arbitraires, mais présentent des difficultés ou, au minimum, une lenteur considérable dans l’apprentissage de règles systématiques ou de grammaires complexes avec enchâssement récursif. Même si les animaux doués d’apprentissage vocal, comme les oiseaux chanteurs, présentent des circuits remarquablement analogues à ceux de l’espèce humaine, y compris sur le plan génétique, leur « langage » ne présente pas de structures enchâssées similaires à celles de notre espèce.
En ce qui concerne l’acquisition du langage et des symboles, notre espèce est donc bien singulière… La compréhension de l’origine neurobiologique de cette singularité est l’une des grandes questions qui se pose aux chercheurs pour les années à venir.