La grande révolte

Résumé

Les années 8 à 10 de Samsu-iluna sont beaucoup mieux connues que les sept premières années de son règne en raison des événements qui se déroulèrent alors : pendant deux ans se succédèrent des révoltes et invasions dans le sud, l'est et l'ouest de son royaume. Le point de départ est un constat simple : l'arrêt de l'emploi des noms d'années de Samsu-iluna dans un certain nombre de villes dans le courant de l'année 8 et l'apparition de noms d'années de rois locaux, comme celui de Rim-Sin [II] à Ur, Larsa etc., ou de Rim-Anum à Uruk. Deux inscriptions postérieures de Samsu-iluna rappellent les événements.

Pourquoi des usurpateurs réussirent-ils à prendre le pouvoir dans les villes du Sud ? Manifestement, la venue de Samsu-iluna à Ur, trois ans auparavant, n'avait pas suffi à apaiser la rancœur des habitants de l'ancien royaume de Larsa : ils semblent avoir eu le sentiment qu'ils étaient exploités par le Nord et avoir voulu reprendre leur indépendance. Uruk a rétabli la sienne en portant Rim-Anum sur le trône, tandis que Rim-Sin II devenait roi de Larsa, englobant l'ancien royaume d'Isin. Les sources d'Uruk proviennent d'un seul site, le palais fondé par Sin-kašid, où ont été découvertes plus de 300 tablettes provenant des archives de la « maison des prisonniers de guerre » (bît asîrî). Cette institution se chargeait des captifs dans l'intervalle entre leur arrivée à Uruk et leur redistribution à des temples ou à des dignitaires, pourvoyant notamment à leur alimentation. Les textes de distributions de farine ont le grand intérêt de mentionner les bénéficiaires en fonction de leur origine géographique, à l'intérieur ou à l'extérieur du royaume. On voit ainsi que Rim-Anum avait réussi à reconstituer le royaume d'Uruk tel qu'il existait avant son annexion par Rim-Sin I ; une vieille querelle frontalière avec Larsa semble d'ailleurs avoir resurgi. On constate également que Dagan-ma-ilum, chef des gens de Kazallu et du Mutiabal, fit alliance avec Rim-Anum.

La liste des localités où l'on trouve des textes datés par des noms d'années de Rim-Sin II permet de reconstituer l'étendue de son royaume : Ur, Larsa, Kutalla, Ašdubba, Bad-tibira, Lagaš, Isin et Nippur : il correspond à l'ancien royaume de Larsa, à l'exception notable d'Uruk, où régnait Rim-Anum comme nous l'avons vu. Samsu-iluna le décrit comme « Rim-Sin, qui avait fait se rebeller l'Emutbalum et qui avait été élevé à la royauté de Larsa ». Telles sont les raisons qui expliquent que les historiens le désignent comme Rim-Sin II, considérant qu'il avait pris la suite du grand Rim-Sin. Mais « Rim-Sin II » lui-même ne se définit nulle part en relation avec Larsa : à deux reprises, c'est par rapport à Keš et à sa déesse Ninmah qu'il se situe. Il est remarquable que plusieurs individus se firent faire de nouveaux sceaux où ils se déclarent « serviteur de Rim-Sin » : cela prouve qu'aux yeux de beaucoup, la situation était irréversible. Elle était pourtant bien fragile économiquement, comme le montrent divers indices.

La période fut également troublée par une invasion de Kassites. C'est la première fois que leur nom apparaît dans l'histoire de la Mésopotamie, et on sait qu'une dynastie originaire de ce peuple finit par prendre le pouvoir à la fin de la 1^reDynastie de Babylone peu après 1600. Les Kassites, qui jusque-là vivaient tranquillement dans les montagnes du Zagros, voyant les gens de la plaine s'entre-tuer, jugèrent sans doute le moment favorable pour effectuer une descente. On peut supposer qu'après avoir effectué force pillage, ils repartirent chargés de butin dans leurs montagnes – ce qui permit à la fois à Samsu-iluna et à Rim-Sin II de dire qu'ils les avaient victorieusement repoussés… Nous n'en avons plus de mention avant le règne d'Abi-ešuh, fils et successeur de Samsu-iluna.

Pendant longtemps, on a cru que la révolte n'avait affecté que le sud et l'est du royaume de Babylone, avant tout parce que Samsu-iluna dans l'inscription de Kiš ne parle de rien d'autre ; on a maintenant compris que ce fut aussi le cas de l'Ouest. On ignore tout de ce qui s'est passé dans l'ancien royaume de Mari après la destruction du palais et de la ville, pendant la fin du règne de Hammu-rabi et le début de celui de Samsu-iluna. Mais des tablettes ont été retrouvées à Terqa, qui livrent le nom de trois rois du « royaume de Hana » : Yapah-Sumu-abum, Iṣi-Sumu-abum et Yadih-abum. Ils furent reconnus le long du Moyen-Euphrate depuis Harradum jusqu'en amont de Terqa et dans le bas Habur, comme l'ont montré les fouilles japonaises récentes de Tell Ṭaban, l'antique Ṭabatum. Samsu-iluna avait trop à faire au sud et à l'est et il ne put empêcher cette renaissance du royaume de Mari que son père avait anéanti vingt ans plus tôt, en 1760.

Il semble que la reconquête babylonienne commença par Larsa : Samsu-iluna y fut à nouveau reconnu dès le 20/ii de l'année 10, mais à Ur seulement au mois VIII, soit six mois plus tard. La reconquête de l'an 10 fut commémorée par le nom donné à l'an 11 : « Samsu-iluna, le roi, sur l'ordre d'An et d'Enlil, détruisit les grandes murailles d'Ur et Uruk et vainquit l'armée d'Akkad pour la fois. » On remarque l'absence de Larsa dans cette énumération : c'est Ur qui est châtiée, mais aussi Uruk. Son roi Rim-Anum s'étant rallié à Samsu-iluna, il semble que Rim-Sin voulut étendre son emprise sur Uruk. Ce serait alors que certains habitants, dont le clergé, qui avaient cautionné la nouvelle politique pro-babylonienne de Rim-Anum se réfugièrent en Babylonie du nord. C'est donc bien Samsu-iluna qui a détruit la muraille d'Uruk, mais en représailles contre Rim-Sin II, de la même manière qu'à Ur. La différence est qu'Uruk ne fut pas réoccupée en l'an 11.

En revanche, pas moins de 15 textes datés de l'an 11 de Samsu-iluna ont été retrouvés à Ur, dont 4 dans la maison du général Abisum fouillée en 2017. L'année 11 semble avoir été paisible, la domination babylonienne ayant été rétablie. Une nouvelle révolte éclata au début de l'an 12. Une partie des habitants choisit le chemin de l'exil, comme l'avaient fait les habitants d'Uruk auparavant. Mais d'autres choisirent de rester : on voit au mois VIII de Samsu-iluna 12 des gardiens protégeant le temple de Ningal et ses trésors. Très vite, cette ultime résistance fut emportée et la ville complètement pillée et détruite, sans qu'on connaisse l'identité des assaillants.

Dans son inscription de Kiš, Samsu-iluna mentionne aussi sa victoire sur un roi d'Ešnunna nommé Iluni. Celui-ci est resté mal connu, jusqu'au moment où deux sites voisins de la vallée de la Diyala, Tell es-Sib et Tell Haddad, l'antique cité de Me-Turan, livrèrent des documents datés de son règne. On dispose depuis peu également de lettres écrites par Iluni, dont l'origine archéologique est indéterminée. Le nombre de noms d'années d'Iluni semble assez important, mais on ne sait pas quand son règne a débuté. Il semble que ses armées se joignirent à celles de Rim-Sin II pour lutter contre Samsu-iluna, si l'on fait attention à une variante du nom de l'an 10 de Samsu-iluna, où le roi de Babylone prétendit avoir remporté une victoire sur « l'armée de l'Ida-Maraṣ (variante : l'armée d'Ešnunna), du pays de Yamutbalum, d'Uruk et d'Isin ». On ne sait quand Iluni fut éliminé, mais dans l'inscription de Kiš, Samsu-iluna indique : « Quant à Iluni, le roi d'Ešnunna, qui était rebelle à ses ordres, il le captura, l'amena dans un carcan et le fit étrangler. »

Au terme de ces deux années de troubles, le royaume de Samsu-iluna se trouva amputé de sa partie la plus méridionale : toute la région autour de Larsa, Ur et Uruk lui échappa définitivement, alors qu'il réussit à récupérer la zone de Nippur et d'Isin. Nous ne savons pas exactement quel contrôle il reprit sur Ešnunna et la vallée de la Diyala, malgré son affirmation selon laquelle il élimina Iluni. Et à l'Ouest, toute la vallée du Moyen Euphrate passa au pouvoir d'une nouvelle dynastie qui ressuscita le royaume de Mari. L'héritage de Hammu-rabi fut donc en grande partie perdu.