Le passé turc n’est pas qu’ottoman et l’histoire ottomane n’est pas que turque. C’est dire que l’intitulé de cette nouvelle chaire couvre un domaine très vaste et pour le moins complexe, voire ambigu. Nous porterons cependant notre regard sur un contexte plus ciblé qui, tout en réduisant l’ampleur du sujet, permettra d’intégrer ces deux dimensions de la question dans une réflexion historique particulière, celle de l’Empire ottoman et de la Turquie républicaine face à l’Occident. Ce questionnement s’inscrira à son tour dans une chronologie chevauchant les périodes moderne et contemporaine, du XVIIIe siècle à nos jours.
Modernités, modernisation, occidentalisation, dynamiques internes, influences extérieures, cette période de transformations profondes est bien trop complexe pour se prêter à des lectures univoques qui finissent par donner une vision par trop simpliste, souvent faite d’une combinaison de triomphalisme occidental et de défaitisme ottoman.
À un moment où l’histoire devient la proie d’une rhétorique politique des plus malsaines et où celle de l’Empire ottoman est soumise au lit de Procuste du nationalisme turco-islamique, il devient d’autant plus important de créer une plateforme capable de diffuser la connaissance historique dans ce domaine particulier et de promouvoir la recherche « en train de s’y faire », selon l’heureuse formule du Collège de France. C’est la mission que la chaire internationale d’histoire turque et ottomane s’est fixée pour les cinq années à venir, pendant lesquelles les spectaculaires transformations des trois derniers siècles seront examinées dans leurs dimensions politique, idéologique, sociale, économique et culturelle, afin de saisir les dynamiques du changement et de la continuité dans une des régions les plus mouvementées du globe.
Le cours reprendra les grands moments de la période : intégration avec l’Europe au tournant du XIXe siècle, réformes étatiques des années 1820 et 1830, rêves « ottomanistes » des années 1850 et 1860, crise de 1876, autocratie hamidienne, révolution jeune-turque, débâcle de la Première Guerre mondiale… L’objectif premier est de combiner la synthèse et le détail, et de familiariser le public avec l’étude critique de textes et de documents contemporains, ainsi qu’avec une approche diversifiée permettant de croiser des aspects différents mais convergents d’une réalité extrêmement variée. De la culture funéraire aux institutions financières, de l’anatomie des massacres aux biographies intellectuelles, de l’usage de la photographie à l’invention des ordres et décorations, de la naissance d’un orientalisme ottoman à la constitution d’une pratique archéologique, nombre d’études viendront se greffer sur ce récit central pour en dévoiler la richesse et la complexité.