Depuis quelques décennies, la Terre se rappelle aux hommes avec obstination : sa colère est de moins en moins contenue. À lire Bruno Latour, Gaia doit être désormais regardée « en face » (Face à Gaïa, 2015). Le choix d’un terme grec pour désigner la terre, qui n’est, selon l’auteur, ni « Terre-mère », ni « Nature », interpelle l’historien de la Grèce antique. Qui est Gê/Gaia pour les Grecs eux-mêmes ? Comment concevaient-ils leur rapport à la terre, eux dont la poésie fait des épichthoniens (« ceux qui marchent sur le sol ») tout autant que des « mangeurs de pain » ? Comment se déclinait le pouvoir de Gaia ou Gê, la Terre avec majuscule, en tant que puissance divine ? La problématique ainsi esquissée est immense et il ne s’agit pas de l’embrasser tout entière. Dans le cours de cette année, la figure de Déméter, petite-fille de Gaia chez Hésiode, sert de réactif pour l’appréhender.
Selon une méthode déjà éprouvée pour d’autres divinités, tant les traditions narratives qui concernent la déesse que certains des cultes qui lui étaient rendus sont analysés. Dans ce dernier registre, Déméter en tant que Thesmophoros est privilégiée pour deux raisons : le titre cultuel lui est spécifique et elle le reçoit dans l’ensemble du monde grec. Mais que signifie-t-il exactement ? Son sens mérite quelques éclaircissements puisque la langue classique fait de Déméter ainsi dénommée « celle qui apporte les lois ». Quant à la fête célébrée en son honneur, elle est l’apanage exclusif des citoyennes. Les Thesmophories mettent en jeu la fécondité des femmes, leur place dans la polis, autant que la fertilité de la terre. Preuve que, déjà en Grèce ancienne, Gaia engageait davantage que l’image passive d’une entité simplement exploitable.