Amphithéâtre Guillaume Budé, Site Marcelin Berthelot
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Dans sa philosophie de la psychologie, Wittgenstein fait jouer à ce qu’il appelle les « paraphrases » un rôle considérable, qu’il se reproche parfois de n’avoir pas assez souligné (BPP I, § 853).

On peut caractériser une paraphrase comme une expression qui :

  • (1) est l’explicitation d’un sentiment ou d’une intuition ;
  • (2) n’est pas utilisée littéralement, mais transposée d’une forme d’expression à une autre (c’est une image verbale) ;
  • (3) est produite sans règle ni analogie (à la différence d’une métaphore), et n’est justifiée que par le sentiment d’évidence de ceux qui l’emploient ou la comprennent ;
  • (4) est la description la plus directe et la plus immédiate de ce sur quoi elle porte. Parmi les expressions en 1ère personne (Äusserungen), sont typiquement des paraphrases celles de certains états d’âme comme la dépression (« je sens un poids sur mes épaules ») ou le sentiment de panique (« j’ai le sentiment d’une catastrophe imminente »). Mais, à bien des égards, relèvent aussi de la paraphrase les expressions de l’expérience de l’apparition d’un nouvel aspect (« maintenant, je vois un lapin »), ou celles de l’expérience de la signification (« le mot “si” a pour moi une physionomie différente maintenant que je l’entends comme le nom d’une note de musique et non plus comme conjonction de subordination »). Sous peine de fausser la description de ces expériences, leur phénoménologie ne peut négliger ces déclarations-paraphrases, et doit même s’appuyer sur elles. Mais sont également des paraphrases, au sens de Wittgenstein, nombre de nos descriptions et caractérisations en 3ème personne de nos expériences vécues, qu’elles s’énoncent dans le langage ordinaire (« un aspect s’illumine brièvement puis s’éteint », « un mot peut être vécu comme l’image de sa signification ») ou qu’elles se présentent comme des affirmations théoriques (« toute sensation a un contenu phénoménal qui lui est spécifique », « dans l’expérience du changement d’aspect, c’est toute l’organisation du perçu qui se modifie soudain » [Köhler], « il existe des sentiments de tendance » [James]). Les philosophes et les psychologues commettent fréquemment une erreur en croyant produire une théorie alors qu’ils ne font que fournir une paraphrase. Et « une paraphrase n’est pas une explication » (Ms, 135, 50). Mais, par l’attention qu’elles obligent à porter à nos formes d’expression, l’étude des paraphrases ordinaires ou savantes (qu’elles soient appropriées ou trompeuses) et l’invention consciente de nouvelles paraphrases sont des outils indispensable de clarification grammaticale : elles aident à ne pas « prédiquer de la chose ce qui réside dans le mode de représentation » (PU, § 104). En cherchant à construire une vision synoptique du concept de paraphrase, on s’efforcera de voir plus clair sur deux questions délicates :

1. La question des relations entre expression et image. Quelle est la grammaire des images expressives, c'est-à-dire des images qui sont l’expression de ce qu’elles décrivent ?

2. La question des relations entre phénoménologie et grammaire. Comment s’articulent entre elles description phénoménologique et description grammaticale dans la philosophie de la psychologie de Wittgenstein ?