Ce colloque a été organisé sous la responsabilité de Denis Perrin et Jean-Jacques Rosat.
Wittgenstein : expérience et subjectivité
Des manuscrits des années 30 aux Remarques sur la philosophie de la psychologie
Comment le langage nécessairement public et commun (et éventuellement scientifique) peut-il se rapporter à l’expérience vécue réputée « privée », intérieure et subjective ? Quel est le statut des énoncés au moyen desquels nous décrivons nos sensations ou notre espace visuel, nos douleurs ou nos émotions ? Quel rôle y joue le mot « je » ? Quelle est sa grammaire et qui est-ce qui dit « je » ?
Ces questions, qui courent dans toute l’œuvre de Wittgenstein, ont été particulièrement centrales pour lui à deux étapes de sa carrière : entre 1929 et 1933, quand il cherche à élaborer par diverses voies une phénoménologie de l’expérience vécue ; entre 1946 et 1949, quand il tente d’acquérir une vision d’ensemble des concepts de la psychologie. Sous l’effet de la périodisation classique de la pensée de Wittgenstein en deux phases – l’une centrée autour du Tractatus, l’autre autour des Recherches philosophiques –, la singularité et la fécondité de ces deux moments ont été souvent sous-estimées par les études wittgensteiniennes. Mais on a plus encore négligé les liens étroits et complexes qu’ils entretiennent.
L'un des enseignements les plus clairs apportés par le Nachlass (intégralement accessible depuis quelques années seulement) est, en effet, que Wittgenstein procédait, dans son activité d'écriture, par reprises successives des mêmes séquences de remarques, soumettant celles-ci à des remaniements permanents : ainsi progressait son travail philosophique de ressassement thérapeutique. Or, parmi les strates qui jalonnent ce processus de reprise se distingue de façon exemplaire la réintégration à la fin des années 1940, dans le cadre des réflexions sur la philosophie de la psychologie, de concepts et d’images qui semblaient définitivement écartés après la critique à laquelle les avait soumises le rejet du projet phénoménologique de 1929. Quel sens donner à cette reprise particulière dans le parcours wittgensteinien ? C'est-à-dire aussi bien : comment doit-on penser le rapport de la critique de la phénoménologie à celle de la psychologie, à l’égard en particulier des deux questions de l’expérience et de la subjectivité ? Et qu'est-ce que cela nous apprend sur l'évolution de Wittgenstein depuis son « retour » à la philosophie en 1929 jusqu’à ses dernières pensées ?