Publié le 03 juin 2022
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Elie Danziger, doctorant en anthropologie sociale

Chemins de chercheurs

La modélisation de la vie dans des dispositifs écologiques ! Tel est l’objet de recherche d'Elie Danziger, doctorant au Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS) du CNRS, de l'EHESS et du Collège de France.

Elie Danziger

Qu'est-ce que l'anthropologie ?

L'anthropologie est l'étude de l'être humain au sens biologique, physique, linguistique, social ou même culturel.

Plus spécifiquement, l'anthropologie sociale se penche sur les relations sociales et les systèmes culturels dans lesquels les populations interagissent au quotidien, et pas forcément en comparaison biologique avec d'autres espèces. Dans le volet biologie de l'anthropologie, la méthode d'analyse employée est dite quantitative : on s'attache plutôt à faire des mesures de paramètres cognitifs ou physiologiques comme les hormones par exemple. Côté anthropologie sociale, la méthode est distincte : elle est dite qualitative.

Depuis le XIXe siècle, époque où la discipline s'est cristallisée en Europe de l’Ouest, la méthode qualitative consiste à se rendre chez un certain groupe humain et à vivre à ses côtés pendant la durée la plus longue possible. Le but est de comprendre, avec du recul, la façon dont ces groupes organisent leur vie sociale et culturelle pour pouvoir l’étendre aux humains en général.

Qu’entendez-vous par « société » et « culture » ?

Il y a plusieurs thèmes particuliers. Lorsqu’on pense à la vie sociale et culturelle des humains, on pense aux relations de parenté, aux institutions d’échange et de don, aux conceptions de la personne et du genre, à la relation à la nature et au corps, aux formes d’organisation politique ou encore aux rituels et à la religion. Récemment, les questions de mondialisation ont aussi fait partie de ces thèmes généraux.

Quel a été votre point d’entrée dans ce domaine de recherche ?

Ce qui a éveillé mon intérêt dans l'anthropologie au début, c'est l'aspect biologique évolutif : comment les êtres humains ont-ils évolué en tant qu'espèce dans un écosystème ? Mais aussi les aspects social et culturel, que l'on peut croiser avec la biologie, c’est-à-dire comment nos capacités sociales et culturelles ont pu se développer et participer à notre survie alors que d'autres espèces ont développé des capacités totalement différentes ?

Trouver les études qui fassent le lien entre biologie et sciences sociales, et qui soient valorisées institutionnellement a été très difficile.

L’anthropologie n’est pas une discipline connue au lycée et n’est enseignée, à partir de la licence, que dans un nombre restreint d’universités : cela n’en fait pas forcément une discipline de choix pour les jeunes. La distinction de prestige entre la faculté et les classes préparatoires aux grandes écoles crée, en outre, un énorme biais dans nos décisions d’orientation. Je trouve cela regrettable au vu de tous les avantages de l’anthropologie, qui est je trouve le secteur le plus interdisciplinaire et stimulant que l’on puisse imaginer.

Vous avez pu trouver votre bonheur au Royaume-Uni…

J’ai regardé les établissements à l’étranger qui pouvaient remplir mon cahier des charges, et où il y avait une moins grande séparation, comme il y a historiquement en France, entre les sciences sociales et les sciences naturelles.

En terminale, j’avais un bon niveau d’anglais académique. J’ai trouvé des formations en Angleterre avec le mélange anthropologie biologique et anthropologie sociale. J’étais ravi, car c’était une combinaison qui était pensée pédagogiquement dès la première année. J’ai postulé dans cinq universités et j’ai finalement intégré l’université d’Oxford dans un programme nommé « Human sciences », qui pourrait se traduire en français par « sciences de l’Homme » plutôt que sciences humaines. Il y avait des cours de génétique, physiologie, sociologie, démographie, géographie, évolution... J’ai même eu l’occasion de faire un stage assez fascinant en primatologie au Japon.

On pourrait penser que l’anthropologie c’est trop spécialisé, que l’on ne peut pas l’enseigner en sortie de lycée, la preuve en est que non. Beaucoup de gens qui ne savaient pas que ce parcours à Oxford existait m’ont dit après coup : « J’aurais adoré faire ça, on apprend tellement de choses diverses sur les humains, ça donne des clés pour penser le monde de demain. »

Pourquoi êtes-vous revenu en France ?

Même si j’ai étudié ailleurs, je souhaitais jouer un rôle dans mon pays parce que c’est là que j’ai mes attaches et ma culture.

Je ne savais pas quoi faire après le master, mais je voulais garder un lien avec l’anthropologie dans ma pratique. L’anthropologie peut mener à plusieurs secteurs en fonction de ce qui nous plaît.

Pendant cette période de réflexion, une des enseignantes du département de mon master à l’University College London (UCL) m’a mis en contact avec Perig Pitrou, mon directeur de thèse actuel, qui avait lancé un appel à candidatures pour un contrat doctoral dans le cadre d’un projet interdisciplinaire. J’ai hésité à postuler en raison de cette nécessité de m’engager dans un laboratoire pour trois ans. Finalement, j’y ai vu une belle occasion d’insertion dans le cadre français. Et puis le projet était en coopération avec des biologistes, dont mon codirecteur de thèse Régis Ferrière, à l’École normale supérieure (ENS), cela m’a convaincu.

Elie Danziger labo

À quoi ressemble votre milieu professionnel ?

À l’intérieur du LAS, je fais partie de l’équipe « Anthropologie de la vie » dirigée par Perig Pitrou. On étudie, dans plusieurs contextes socioculturels, les conceptions que les gens ont des êtres vivants, de la vie en tant que processus : la reproduction, le vieillissement, la croissance, etc. Cela fait, pour partie, écho aux travaux de Philippe Descola, professeur émérite du Collège de France, qui avait beaucoup traité des conceptions de la « nature » dans différentes sociétés. C’est vraiment une anthropologie au sens large qui a été développée dans la tradition de notre laboratoire. Cela donne une marge de manœuvre pour penser l’interdisciplinarité.

Je suis également membre du collectif « La vie à l’œuvre », lancé par mon directeur de thèse et constitué de chercheurs ainsi que d’artistes, qui explorent les relations entre le vivant et les techniques. Concrètement, nous avons notamment collaboré avec une entreprise immobilière et une agence d’architecture sur la réhabilitation d’une ancienne gare pour en faire un lieu citoyen.

Je trouve cela chouette de s’impliquer dans des projets sociétaux variés hors du domaine académique en apportant une expertise scientifique.

Comment travaillez-vous au quotidien ?

Je m’intéresse à la modélisation de la vie dans des espaces clos, sans influence de l’extérieur. Dans mon contexte, il s’agit en fait d’analyser des expériences dans lesquelles des scientifiques essaient de reproduire des écosystèmes entiers en modèles réduits, en les contrôlant le mieux possible.

En France, cela se déroule au sein d’infrastructures de recherche nommées « Ecotrons ». On y cultive principalement des plantes et des micro-organismes, dans des biomes très diversifiés, de la savane à l’océan. Ces écosystèmes sont enfermés et s’autorégulent dans des sortes de bulles isolées dont les plus petites font la taille d’un micro-onde. Il existe aussi des bassins aquatiques et des chambres climatiques de plusieurs mètres carrés. Des paramètres imposés comme la température, l’humidité, la lumière, etc. peuvent être modulés.

Un des Ecotrons que je fréquente se situe en région parisienne, dans la Seine-et-Marne. Ma tâche est de suivre les chercheurs dans toutes leurs activités de routine : les expériences, les réparations de matériels, les réunions de réflexion sur les protocoles expérimentaux, etc. Et dès que je peux, je les assiste, un peu comme un stagiaire. Cela s’appelle de l’observation participante.

Ce n’est pas la même chose de se faire raconter une action que de la vivre et d’être confronté aux mêmes difficultés que l’opérateur.

Biosphère 2

Vue de Biosphère 2, site expérimental construit pour reproduire un système écologique artificiel clos situé à Oracle, dans le désert de l'Arizona. © DrStarbuck.

Par cet exercice, quel est votre objectif ?

En visitant ces laboratoires qui tentent de modéliser la vie dans des espaces fermés, j’aimerais expliciter la manière dont les conceptions humaines du vivant contribuent à la diversité biologique. Tout comme le chercheur manipule et détermine, selon ses idées, les paramètres de son univers miniature en vase clos, à l’échelle globale de l’humanité nos conceptions de la vie participent à notre façon d’envisager et d’influencer notre planète.

Saisir comment ce dernier fonctionne, c’est une chose ; mais ce qui compte pour les anthropologues, c’est de comprendre comment les humains vivent avec lui et se fabriquent des conceptions. Cela vaut aussi bien pour un chaman dans la forêt amazonienne que pour un technicien dans un Ecotron en Europe !

On est en coévolution constante avec notre environnement et l’on a un pouvoir d’action sur lui. La question du changement climatique est un bon exemple : on a des décisions à prendre sur la place de notre espèce dans notre écosystème et donc sur nos pratiques… pratiques scientifiques incluses.

Quelle sera la prochaine étape ?

Aller en Arizona, aux États-Unis, pour découvrir « Biosphère 2 », le plus grand système écologique clos du monde. C’est un endroit dans lequel et autour duquel se déploient plusieurs remarquables projets de modélisation du vivant, dont certains dans l’optique d’un voyage sur Mars. Là-bas, nous ne pourrons pas exploiter l’atmosphère locale, nous devrons être capables de générer un habitat viable et autonome. Avoir un regard d’anthropologue sur ces problématiques peut être très bénéfique.

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Elie Danziger est doctorant au LAS sous la direction de Perig Pitrou (CNRS, Collège de France) et Régis Ferrière (ENS). Sa thèse s'intitule « Modélisation de la vie et construction de systèmes vivants artificiels clos. Approches interdisciplinaires ».

Propos recueillis par Océane Alouda