Votre thèse porte sur la production et le stockage d'une énergie renouvelable. Avez-vous toujours été intéressée par le lien entre la chimie et l’écologie ?
En terminale, j’aimais autant les matières littéraires que scientifiques. Je ne savais pas trop vers quoi me diriger après le bac. Et un jour, j’ai lu dans mon livre de physique le chapitre consacré à la science des matériaux. J’ai été frappée par les conséquences que cette discipline pouvait avoir sur la société. Je me souviens que l’auteur prenait pour exemple les panneaux photovoltaïques… C’est ainsi qu’après ma prépa en physique chimie au lycée Saint-Louis et après avoir intégré l’ENS, je me suis spécialisée sur la chimie des matériaux. Celle-ci consiste à modifier la structure de la matière afin de lui conférer des propriétés nouvelles et utiles. L’activité scientifique me plaît, mais il est important pour moi de sentir son utilité. Je n’ai jamais souhaité m’enfermer dans un laboratoire. Au contraire, de mon point de vue, faire de la chimie, c’est agir concrètement sur le monde.
Comment organisez-vous votre travail ?
Je me fais des plannings sur dix jours… je ne les respecte jamais, mais ça m’aide à me projeter ! C’est important pour la gestion de mes expériences. La première année de ma thèse, j’avais peur de perdre la moindre minute, puis j’ai compris l’importance de prendre le temps nécessaire à la recherche, de ne pas travailler dans la précipitation, j’ai donc adapté mon rythme de travail. Tous les détails sont importants dans la recherche scientifique. La moindre négligence dans une expérience peut gâcher des semaines d’efforts. En général donc, je reste sept heures par jour dans le laboratoire. Le reste du temps, je lis des articles… et, tous les mois, je rends des rapports sur l’avancée de mes travaux à mon directeur de thèse, Marc Fontecave, professeur du Collège de France et titulaire de la chaire Chimie des processus biologiques.
Vous faites aussi un MBA…
Au Collège des Ingénieurs ! Ce MBA s’intitule « Science et Management ». Le programme initial se fait en un an, mais j’ai eu la possibilité de l’étaler sur mes trois années de thèse. Après, je devrai faire une mission d’une année en entreprise. Je m’intéresse à des entreprises telles que Total qui mécène en grande partie notre laboratoire et dont certains experts des énergies renouvelables nous aident dans l’élaboration de notre projet. Cette formation complémentaire me tient à cœur, car je ne souhaite pas travailler dans la recherche académique toute ma vie, mais j’aimerais continuer à travailler dans le domaine énergétique… du point de vue de la réalisation industrielle. De plus, ce double-cursus me permet de m’ouvrir sur le milieu des entreprises, de rencontrer des personnes intéressantes aux profils divers, et de mieux ancrer mon travail de recherche dans une perspective sociétale.
Vous allez bientôt soutenir votre thèse, que retirerez-vous de votre pratique de chercheuse ?
La conviction que faire ce métier nécessite d’être toujours très optimiste : il ne faut jamais se laisser abattre par les échecs ! Cela dit, la thèse apprend à gérer un projet long et complexe de façon autonome… au sein d’une équipe. Au quotidien, mes résultats dépendent principalement de mes efforts et de mes expérimentations. Cependant, le projet sur lequel je travaille implique d’autres chercheurs, venant d’horizons divers (Turquie, Angleterre, Mexique, Vietnam, Italie…) C’est difficile de mettre des mots dessus, mais il me semble qu’il y a, suivant les nationalités et les personnalités, des approches différentes du travail scientifique. Chacun travaille sur un petit morceau du problème et le résultat final sera la conjonction de ce que chacun aura trouvé. C’est très enthousiasmant et enrichissant.
Comment vos travaux allient-ils la chimie et l’écologie ?
Le CO2, autrement dit le dioxyde de carbone, est la première cause du réchauffement climatique. Les êtres humains en émettent 40 giga tonnes par an, et ce chiffre est en constante augmentation ! Je travaille sur un système capable de recycler le CO2 en carburant.
Ce système nous a été inspiré par les plantes. Nous procédons par « biomimétisme » : nous imitons la nature ! Nous reprenons le processus de photosynthèse qui permet à une plante de se développer grâce au soleil, à l’eau et à l’air.
Dans notre laboratoire, pour remplacer l’énergie du soleil, nous utilisons l’énergie électrique. Cette énergie alimente notre système, un petit boîtier d’électrolyse, dans lequel nous mélangeons de l’eau et du CO2. À la sortie de ce boîtier, il y a de l’oxygène (que nous relâchons) et du carburant sous forme de gaz ou de liquide.
Ces énergies produites à partir du CO2 pourraient remplacer le pétrole et nous débarrasser de l’excédent de CO2 que l’activité humaine rejette dans l’atmosphère.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
Pour le moment, ce système n'est pas économiquement viable ! Pour deux raisons.
D’abord parce que notre procédé possède un faible rendement. Toute l’énergie qui alimente le système n’est pas utilisée. Or, nous voulons recycler le maximum de CO2 avec le minimum d’électricité ! Mais l’eau et le dioxyde de carbone sont des molécules très stables, il est difficile de les transformer. C’est pour cela que notre système nécessite beaucoup d’énergie électrique. À terme, nous souhaiterions pouvoir utiliser des énergies « propres », éolienne ou solaire.
Ensuite, notre système utilise des matériaux rares comme l’iridium ou le platine. Cela pose évidemment des problèmes pour une réalisation de ce procédé à grande échelle. Je cherche à remplacer ces métaux rares par des métaux moins onéreux comme le fer ou le nickel.
Les deux problèmes principaux sur lesquels je réfléchis sont donc : comment utiliser le moins d’énergie possible pour faire ce recyclage ? Comment réaliser ce procédé au plus bas coût ?
Les enjeux de votre recherche paraissent cruciaux pour l’avenir de notre planète ?
En vérité, mon champ de recherche est très étudié dans le monde. C’est un milieu très compétitif. Chaque avancée est donc un tout petit pas. Mais la somme de toutes ces petites avancées fait que le domaine progresse très vite.
Afin d’avoir un réel impact sur les évolutions de nos sociétés, il faudrait que les scientifiques fassent plus de communication envers le grand public, même quand des recherches – comme les miennes, par exemple – n’auront peut-être un véritable impact que dans plusieurs années… En effet, certains discours écologistes relayés par les médias sont souvent aussi alarmistes qu’infondés. Les politiciens sont toujours dans l’affirmation, là où le scientifique est dans un raisonnement plein de doutes et d’hypothèses. Je crois que les décisions politiques gagneraient en pertinence si elles s’appuyaient plus sur ce type de raisonnement.
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Adèle Peugeot travaille au sein de l’équipe Chimie des processus biologiques du Collège de France, sous la responsabilité du Pr Marc Fontecave. Sa thèse s’intitule « Catalyse de l’oxydation de l’eau dans le contexte de l’utilisation du CO2 ».
Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par David Adjemian