Résumé
L’ouvrage de Willem Jongman, The Economy and Society of Pompeii, paru en 1988, fut pour les archéologues de terrain une incitation à mettre en perspective les données archéologiques et surtout à remettre en cause les conclusions historiques qu’on pensait pouvoir en tirer. L’archéologie est la seule branche de l’histoire ancienne dont la documentation s’accroît significativement ; on commence à reconstituer des séries de faits qui manquaient jusqu’à présent pour éclairer tel ou tel aspect des civilisations antiques, en particulier sur l’évolution technique et économique du monde gréco-romain. Mais cette reconstitution de pans effacés de notre histoire ne peut se faire qu’à la double condition que les archéologues interprètent et datent correctement leurs fouilles et qu’ils fournissent des séries d’observations suffisamment nombreuses pour gommer l’hétérogénéité d’une documentation qui sera, par nature, toujours partielle.
L’historien cherche donc à obtenir des échantillons significatifs qui puissent répondre à des questions que nous voulons poser à notre passé. À ce titre W. Jongman a forcé les archéologues à ouvrir les yeux sur leurs préjugés, contestant les acquis qu’une longue tradition avait consacrés et qui se sont révélés erronés ou pour le moins fragiles. Mais son livre, pour salutaire qu’il ait été, doit être replacé dans le contexte historiographique de son temps. Plusieurs aspects ont fait, à l’époque de sa parution, l’objet de contestations justifiées et surtout, l’évolution des recherches archéologiques récentes a répondu à certaines interrogations, mais il demeure que le choc qu’il a provoqué ne cesse de nous interpeller.
Les archéologues passent beaucoup de temps à donner de bonnes réponses à des questions sans importance, au point que notre discipline est noyée dans les détails et on ne voit plus les grandes lignes, ni même souvent les raisons de nos recherches. Cette pesanteur académique et institutionnelle, promue notamment par les services archéologiques qui veulent que nous documentions tous les détails, même les plus infimes, même et surtout ceux que nous ne comprenons pas, finit par être stérilisante. Il est salutaire que, de temps en temps, un provocateur, au sens fort du terme, vienne nous rappeler quelles sont nos dérives et quels doivent être les enjeux réels de nos recherches. Dans cette optique, W. Jongman a présenté les lignes de force de son livre, en a explicité le contexte et a expliqué en quoi sa pensée avait évolué depuis trente ans.