Parmi les débats qui agitent l’histoire ancienne, celui de l’évaluation de la performance économique des villes est l’un des plus vifs. La ville antique était-elle seulement ou principalement le lieu où les riches propriétaires fonciers venaient dépenser la rente foncière ou bien y avait-il des villes productrices et exportatrices de leurs produits ? Quels étaient ces produits et comment séparer ceux qui étaient destinés à la consommation locale de ceux qui étaient éventuellement exportés ?
L’archéologie permet de traiter partiellement ce sujet lorsque les villes sont assez bien connues. Pompéi est, de ce point de vue, très emblématique et a été choisi comme sujet d’étude à deux titres. D’une part, cette ville ensevelie par le Vésuve en 79 de notre ère devrait donner une image de l’activité économique dans une ville moyenne d’Italie à l’époque de la prospérité économique qui caractérise la seconde moitié du Ier siècle. D’autre part, l’état de conservation des vestiges est en général suffisamment bon pour caractériser tous les types d’artisanat et pour définir des modèles interprétatifs susceptibles d’être employés ailleurs. Toutefois le site n’est pas aisément exploitable par la recherche pour trois raisons. Premièrement, le site n’est pas aussi préservé qu’on ne le pense : peu après l’éruption, les Romains sont revenus fouiller les ruines, notamment dans la zone de forum, et ils ont récupéré tous les matériaux possibles (marbre, métaux). Deuxièmement, le site a été fouillé anciennement, trop rapidement, sans méthode et sans que les vestiges soient correctement interprétés, décrits et dessinés ou photographiés.
Il en résulte de nombreuses incertitudes et erreurs. L’intérêt des fouilleurs des XVIIIe et XIXe siècles portait sur les œuvres d’art, tout le reste était au mieux négligé, parfois détruit, comme les canalisations et les chaudières de plomb qu’on fondait au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Troisièmement, les dégagements ont porté principalement sur la ville intra-muros : on connaît très mal la périphérie à l’exception du faubourg à l’ouest de la Porta Ercolano. Or l’expansion économique du Ier siècle a entraîné une relocalisation hors de la ville des artisans les plus importants et les plus polluants, notamment les potiers et les métallurgistes. Cette expansion hors les murs échappe donc en grande partie à l’interprétation archéologique. Les travaux réalisés par le centre Jean Bérard (EFR-CNRSUMS 3133) à partir de 2000 ont contribué à préciser l’organisation et la chronologie de plusieurs filières artisanales allant du textile à l’alimentaire en passant par la fabrication des parfums et le tannage des peaux.