Résumé
Le degré d’intervention de l’État romain dans l’organisation et la gestion des réseaux d’échange à longue distance est apprécié diversement par les historiens de l’Antiquité. S’il n’est plus question aujourd’hui d’une administration centralisée de l’économie par le pouvoir impérial et ses représentants provinciaux, il est communément admis en revanche que ses aspects financiers et militaires relevaient des prérogatives de l’Empereur. De par leurs enjeux politiques et stratégiques, ces derniers ont justifié la mise en place de services fiscaux et annonaires, dont l’existence est bien établie par les textes et l’épigraphie d’époque impériale. Elle se traduit, au plan archéologique, par un acheminement régulier de quantités massives de denrées, de matières premières et de biens manufacturés, reposant sur des infrastructures à la mesure des volumes transportés (voies, ports, entrepôts…), qu’il est toutefois rarement possible, en l’absence d’inscriptions, d’attribuer au domaine public ou privé.
L’intendance militaire (annona militaris) fait exception, puisqu’elle implique par nature une présence tangible de l’armée qui se démarque nettement de la sphère civile par l’architecture ou la découverte de militaria. En ce qui concerne la fin du Haut-Empire et l’Antiquité tardive, l’existence de réseaux de ravitaillement tissés à l’échelle des Gaules, des Germanies et de la Bretagne fait l’objet d’un large consensus. Pour ce qui est des deux siècles de paix relative qui séparent les règnes d’Auguste et de Commode, en revanche, il est souvent allégué qu’elle ne se justifiait pas, ce rôle étant tout entier délégué à l’initiative individuelle des negotiatores privés ; la fourniture ponctuelle ou plus ou moins régulière de certaines catégories de biens (monnaie, armement, céréales) ne requérant pas forcément des infrastructures importantes, construites et gérées par les autorités publiques.
Cet exposé ne prétend pas trancher le débat, mais s’efforcera de faire valoir l’apport des données archéologiques et plus précisément, des découvertes de terrain à l’éclaircissement de cette problématique. À rebours des nombreux travaux déjà consacrés aux marchandises et aux entrepôts mis au jour dans les camps militaires et les villes du Limes, on se focalisera sur deux sites inscrits, de par leur localisation et leur histoire, au cœur de ces réseaux de ravitaillement : à savoir les colonies de Lyon/Lugdunum et Vienne/Vienna en moyenne vallée du Rhône, deux têtes de pont fondées au lendemain de la guerre des Gaules à l’interface des provinces de Narbonnaise et de Lyonnaise. Le lien privilégié qu’elles entretenaient avec Rome et le pouvoir impérial explique le rôle central qu’ils ont joué, dès le Ier siècle de notre ère, dans l’économie civile et militaire des Gaules et des Germanies.