On est frappé par la place qu’occupe la musique dans nos vies : place croissante si l’on en juge par la fréquentation des festivals et salles de concerts, la généralisation des téléchargements d’enregistrements et l’omniprésence de la musique dans les lieux publics. Les philosophes de la Grèce antique tenaient la musique pour essentielle à la compréhension de la nature et lui accordaient une place prééminente dans l’éducation. En se fondant sur la relation entre la longueur d’une corde et la hauteur de la note qu’elle produit, Pythagore de Samos développa une théorie mathématique de l’harmonie musicale, théorie que les pythagoriciens étendirent au mouvement des corps célestes, sous le nom, resté fameux, de l’« harmonie des sphères ».
Dans son traité paru en 1868 sous le titre Théorie physiologique de la musique, Hermann von Helmholtz développa la première description systématique et moderne de la perception musicale, fondée sur les principes de la physique et sur les connaissances alors nouvelles de l’anatomie cochléaire. Remarquable par sa portée, cette théorie introduit un mécanisme de résonance au sein de la cochlée pour expliquer l’analyse spectrale des sons ; elle interprète le phénomène de dissonance par la perception des battements apparaissant lorsque l’onde sonore contient des harmoniques de fréquences légèrement différentes, brisant le rapport d’harmonie pythagoricienne. L’approche réductionniste de Helmholtz caractérise la plupart des travaux ultérieurs visant à élucider les bases physiques du fonctionnement de l’organe auditif. Il faut cependant garder à l’esprit que ce point de vue, où prime la physiologie cochléaire, ne dit presque rien sur les bases neuronales de l’audition, et rend donc très imparfaitement compte des données issues de l’étude de la perception musicale. Vers la fin des années 1960, plusieurs initiatives conduisent au développement d’une recherche interdisciplinaire sur la musique, avec notamment en France l’ouverture en 1969 de l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), fondé par Pierre Boulez. Autour des années 2000, alors que l’étude des modèles murins de surdités héréditaires conduit au renouvellement de la physiologie cochléaire, la physiologie de la perception musicale entre en scène, avec les avancées de l’imagerie fonctionnelle permettant de sonder l’activité des voies auditives in vivo. Ces avancées vont être accompagnées par la création d’un nombre croissant de laboratoires de recherche dédiés à l’étude de la perception et de la cognition musicales dans le monde. Il semble que nous vivions un moment prometteur pour cette étude : chacune des disciplines qui y contribuent est en plein essor. Récemment, une convergence des approches physiologiques et psychoacoustiques a commencé à voir le jour, abordant pour la première fois les liens entre les bases physiques et physiologiques de l’audition et les aspects plus intégrés de la sensation de l’écoute dont dépend la perception musicale. Ce renouvellement touche des domaines aussi propres à la musique que celui de l’émotion qu’elle suscite, ou des avantages qu’elle confère sur la cohésion sociale. C’est ce qu’a tenté d’illustrer cette série de cours et les séminaires qui l’accompagnaient.