Le devenir est-il pensable ? Platon pose la question, dans le dialogue intitulé Le Sophiste (ou : « sur l’être »), qui fait suite au Théétète, et qui met en scène, outre Socrate et le jeune Athénien Théétète, un Étranger dont il est dit que, bien que né à Élée (en « Grande Grèce », au sud de l’Italie), il peut prendre du recul par rapport à l’enseignement de Parménide. En effet, pour penser le devenir, il va falloir admettre un passage, une transition entre être et non-être. Dans l’école de Parménide c’est impensable : on pose que ce qui est existe, ce qui n’est pas n’existe pas, et de ce qui n’existe pas il n’y a rien à dire. Mais qu’est-ce qu’un sophiste ? C’est quelqu’un qui se vante de pouvoir disserter de tout, et soutenir n’importe quelle thèse, en donnant l’impression qu’il sait (alors que peut-être il invente ?). Inventer, c’est faire être ce qui n’est pas. Pour dire au sophiste que ce qu’il raconte est faux, nous allons devoir parler de ce qu’il dit et qui n’existe pas, donc nous allons le faire, d’une certaine façon, exister ; inversement, ce qui s’est réellement passé hier n’existe plus, mais nous n’allons pas prétendre « que la réalité et le devenir n’existent pas » (245 d). Ainsi : « Le sophiste aux multiples têtes nous force à accorder, malgré nous, que le non-être existe d’une certaine manière » (240 c).
Platon avait aimé l’enseignement de Parménide. Par l’intermédiaire de l’Étranger, Platon nous dit ici que, pour débusquer le sophiste dans son repaire, il va falloir « mettre à la question la thèse de Parménide, notre père, et lui faire violence en prouvant que sous un certain rapport, le Non-être existe, et que, en revanche, l’Être, de son côté, de quelque façon n’existe pas » (241 d). Et l’Étranger de solliciter l’indulgence de son interlocuteur : non je ne suis pas un parricide, mais nous allons réexaminer la thèse de Parménide, et « obliger le non-être, sous certaines conditions, à être, et l’être, à son tour, selon quelques modalités, à ne pas être » (ibid.).